Lettre Encyclique « Octobri mense » du Pape Léon XIII du Rosaire de la Vierge Marie.

À nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques, et autres Ordinaires des lieux en paix et en communion avec le Siège Apostolique.

À l’approche du mois d’octobre, que l’on regarde comme consacré et dédié à la Bienheureuse Vierge du Rosaire, Nous Nous rappelons, avec une très grande joie, les vives exhortations que Nous Vous avons adressées, Vénérables Frères, les années précédentes, pour que partout les troupeaux de fidèles, stimulés par votre autorité et par votre zèle, redoublent de piété envers l’auguste Mère de Dieu, la puissante auxiliatrice du peuple chrétien, pour qu’ils L’implorent pendant tout ce mois et L’invoquent par le très saint rite du Rosaire, que l’Église, principalement dans les conjonctures et dans les temps difficiles, a coutume d’employer et de célébrer, toujours avec le succès souhaité.

Nous tenons à manifester de nouveau cette année la même volonté et à Vous adresser, à Vous renouveler les mêmes exhortations ; Nous y sommes invité et poussé par l’amour pour l’Église, dont les peines, au lieu de s’alléger, croissent chaque jour en nombre et en gravité. Ce sont des maux universellement connus que Nous déplorons : que l’Église garde et transmet les dogmes sacrés attaqués, combattus ; l’intégrité de la vertu chrétienne, dont elle a le soin, tournée en dérision ; la calomnie organisée ; la haine attisée de mille manières contre l’ordre des saints Pontifes, mais surtout contre le Pontife Romain ; les attaques dirigées contre le Christ Lui-même par une audace pleine d’impudence et par une scélératesse criminelle, comme si l’on s’efforçait de détruire dans sa base et d’anéantir l’œuvre divine de la Rédemption, que jamais aucune force ne détruira ni n’anéantira.

Ce ne sont pas là des événements nouveaux pour l’Église militante : Jésus en a prévenu les Apôtres : pour qu’elle enseigne aux hommes la vérité et les conduise au salut éternel, il lui faut entrer en lutte tous les jours, et de fait, dans le cours des siècles, elle combat courageusement jusqu’au martyre, ne se réjouissant et ne se glorifiant de rien davantage que de pouvoir sceller sa cause du Sang de son Fondateur, gage très certain pour elle de la victoire qui lui a été promise.

On ne doit pas pourtant dissimuler la profonde tristesse dont cette obligation perpétuelle de lutte afflige tous les gens de bien. C’est, assurément, une cause de grande tristesse qu’il y en ait tant que les erreurs perverses et les outrages à Dieu détournent et entraînent ; tant qui soient indifférents à toute forme de religion et paraissent finalement étrangers à la foi divine ; qu’il y ait aussi tant de catholiques qui tiennent à la religion de nom seulement et ne lui rendent ni les honneurs ni le culte dus. L’âme s’attriste et se tourmente encore bien plus à songer quelle cause de maux déplorables réside encore dans l’organisation des États qui ne laissent aucune place à l’Église ou qui combattent son zèle pour la très sainte vertu ; c’est là une manifestation terrible et juste de la vengeance de Dieu, laquelle laisse l’aveuglement funeste des âmes s’appesantir sur les nations qui s’éloignent de Lui.

Aussi cela crie de soi-même, cela crie chaque jour plus fort : il est absolument nécessaire que les catholiques prient et implorent Dieu avec zèle et persévérance : sine intermissione (1) ; qu’ils le fassent non seulement chez eux, mais encore en public, réunis dans les édifices sacrés, et qu’ils supplient avec instance le Dieu très prévoyant de délivrer l’Église des hommes importuns et méchants (2), et de ramener au bon sens et à la raison, par la lumière et l’amour du Christ, les nations profondément troublées.

Car c’est un fait admirable au-delà de toute croyance ! Le siècle va son chemin laborieux, fier de ses richesses, de sa force, de ses armes, de son génie ; l’Église descend le long des âges d’un pas tranquille et sûr, se confiant en Dieu seul, vers qui, jour et nuit, elle lève ses yeux et ses mains suppliantes. Bien qu’en effet, elle ne néglige pas, dans sa prudence, les secours humains que la Providence et les temps lui procurent, ce n’est pas en eux qu’elle place sa principale espérance, mais dans la prière, dans la supplication, dans l’invocation de Dieu. Voilà comment elle entretient et fortifie son souffle vital, parce que l’assiduité de sa prière lui a permis heureusement, en restant étrangère aux vicissitudes des choses humaines et en s’unissant continuellement à la Volonté divine, de vivre de la vie même de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tranquillement et paisiblement ; comme à l’image du Christ Lui-même, auquel l’horreur des tourments qu’Il a endurés pour notre bien commun n’a presque rien enlevé ni ôté de l’heureux éclat et de la joie qui Lui sont propres.

Cette importante doctrine de la sagesse chrétienne a été, de tout temps, crue et religieusement pratiquée par les chrétiens dignes de ce nom : leurs prières montaient vers Dieu plus vives et plus fréquentes quand les ruses et la violence des pervers avaient attiré un malheur sur la Sainte Église ou sur son Pasteur suprême.

Les fidèles de l’Église d’Orient en fournissent un exemple remarquable et qui est digne d’être proposé à l’imitation de la postérité. Pierre, vicaire de Jésus-Christ, premier Pontife de l’Église, avait été jeté en prison, chargé de chaînes par l’ordre du criminel Hérode, et il était réservé à une mort certaine : personne ne pouvait l’arracher au danger, lui porter secours. Mais il y avait là ce secours que la prière fervente obtient de Dieu : l’Église, à ce que rapporte l’Histoire sacrée, élevait pour lui des prières sans nombre : Oratio autem fiebat sine intermissione ab Ecclesia ad Deum pro eo (3) ; et plus était vive la crainte d’un grand malheur, plus était grande l’ardeur de tous à implorer Dieu. Après la réalisation de leurs vœux, le miracle se découvrit ; le peuple chrétien continue à célébrer avec une reconnaissance joyeuse la merveille de la libération de Pierre.

Le Christ a donné un exemple encore plus remarquable, un exemple divin, pour façonner et former Son Église à la sainteté, non seulement par Ses préceptes, mais aussi à Son modèle : toute Sa vie, Il S’était appliqué à la prière fréquente et fervente, et aux heures suprêmes, lorsqu’au jardin de Gethsémani, Son âme, inondée d’amertume, languissant jusqu’à la mort, Il priait Son Père, et Le priait avec effusion (prolixius orabat) (4), Il n’en a pas agi ainsi pour Lui-même, Lui qui ne craignait rien, qui n’avait besoin de rien, qui était Dieu : Il l’a fait pour nous, pour Son Église, dont Il accueillait déjà avec joie les prières et les larmes futures pour les rendre fécondes en grâce.

Mais, depuis que le salut de notre race a été accompli par le mystère de la Croix et que l’Église, dispensatrice de ce même salut, après le triomphe du Christ, a été fondée sur la terre et définitivement instituée, la Providence a établi et constitué un ordre nouveau pour un peuple nouveau.

La considération des conseils divins s’ajoute ici aux grands sentiments de religion. Le Fils éternel de Dieu, voulant prendre la nature humaine pour racheter et ennoblir l’homme, et devant, par là, consommer une union mystique avec le genre humain tout entier, n’a pas accompli Son dessein avant que ne s’y fût ajouté le libre assentiment de la Mère désignée, qui représentait en quelque sorte le genre humain, suivant l’opinion illustre et très vraie de saint Thomas : Per annuntiationem exspectabatur consensus Virginis, loco totius humanae naturae (5). D’où on peut, avec non moins de vérité, affirmer que, par la Volonté de Dieu, Marie est l’intermédiaire par laquelle nous est distribué cet immense trésor de grâces accumulé par Dieu, puisque la grâce et la vérité ont été créées par Jésus-Christ (6) ; ainsi, de même qu’on ne peut aller au Père suprême que par le Fils, on ne peut arriver au Christ que par Sa Mère.

Qu’elles sont grandes, la sagesse, la miséricorde qui éclatent dans ce dessein de Dieu ! Quelle convenance avec la faiblesse et la fragilité de l’homme ! Nous croyons à la bonté infinie du Très-Haut et nous la célébrons ; nous croyons aussi à Sa justice infinie et nous la redoutons. Nous adorons le Sauveur très aimé, prodigue de Son Sang et de Sa vie ; nous craignons Sa justice inexorable. C’est pourquoi ceux dont les actions troublent la conscience ont un absolu besoin d’un intercesseur et d’un patron puissant en faveur auprès de Dieu, et d’une bienveillance assez grande pour ne pas rejeter la cause des plus désespérés et pour relever jusqu’à l’espoir de la clémence divine les affligés et les abattus. Marie est notre glorieux intermédiaire ; Elle est puissante, Mère du Dieu tout-puissant ; mais ce qui est encore plus doux, Elle est bonne, d’une bienveillance extrême, d’une indulgence sans bornes. C’est ainsi que Dieu nous L’a donnée : L’ayant choisie pour Mère de Son Fils unique, Il Lui a inculqué des sentiments tout maternels, qui ne respirent que l’amour et le pardon ; telle, de Son côté, Jésus-Christ L’a voulue, puisqu’Il a consenti à être soumis à Marie et à Lui obéir comme un Fils à Sa Mère ; telle aussi Jésus L’a annoncée du haut de la Croix, quand Il a confié à Ses soins et à Son amour la totalité du genre humain dans la personne du disciple Jean ; telle enfin Elle S’est donnée Elle-même en recueillant avec courage l’héritage des immenses travaux de Son Fils, et en rapportant aussitôt sur tous le legs de Ses devoirs maternels.

Le dessein d’une si chère miséricorde, réalisé en Marie par Dieu et confirmé par le testament du Christ, a été compris dès le commencement et accueilli avec la plus grande joie par les saints Apôtres et les premiers fidèles ; ce fut aussi l’avis et l’enseignement des vénérables Pères de l’Église ; tous les peuples de l’âge chrétien s’y rallièrent unanimement, et même, quand la tradition ou la littérature se tait, il est une voix qui éclate de toute poitrine chrétienne et qui parle avec la dernière éloquence. Il n’y a pas à cela d’autre raison qu’une foi divine qui, par une impulsion toute puissante et très agréable, nous pousse et nous entraîne vers Marie ; rien de plus naturel, de plus souhaité que de chercher un refuge en la protection et, en la loyauté de Celle à qui nous pouvions confier nos desseins et nos actions, notre innocence et notre repentir, nos tourments et nos joies, nos prières et nos vœux, toutes nos affaires enfin ; de plus, tous sont possédés par l’espoir et la confiance que les vœux qui seraient accueillis avec moins de faveur venant de la part de gens indignes soient, grâce à la recommandation de Sa Très Sainte Mère, reçus par Dieu avec la plus grande faveur et exaucés. La vérité et la suavité de ces pensées procurent à l’âme une indicible consolation, mais elles inspirent une compassion d’autant plus vive pour ceux qui, privés de la foi divine, n’honorent pas Marie et ne l’ont pas pour Mère ; pour ceux aussi qui, participants aux croyances saintes, osent traiter parfois d’excessif et d’extrême le culte de Marie ; par cela, ils blessent grandement la piété filiale.

Cette tempête de maux, au milieu de laquelle l’Église lutte si durement, montre donc à tous ses pieux enfants à quel saint devoir ils sont assujettis de prier Dieu avec plus d’instances, et de quelle façon plus particulière ils doivent s’efforcer de donner à ces supplications la plus grande efficacité. Fidèles aux exemples si religieux de nos pères et de nos ancêtres, recourons à Marie, notre sainte Souveraine ; invoquons, supplions d’un seul cœur Marie, la Mère de Jésus-Christ et la nôtre : Montrez que Vous êtes notre Mère ; faites accueillir nos prières par Celui qui, né pour nous, a consenti à être Votre Fils. (7)

Or, entre les diverses formules et manières d’honorer la divine Marie, il en est qu’il faut préférer, puisque nous savons qu’elles sont plus puissantes et plus agréables à notre Mère ; et c’est pourquoi Nous Nous plaisons à désigner en particulier et à recommander tout spécialement le Rosaire. Le langage vulgaire a donné le nom de couronne à cette manière de prier, parce qu’elle rappelle, en les réunissant par les plus heureux liens, les grands mystères de Jésus et de Marie, leurs joies, leurs douleurs et leurs triomphes. Le souvenir de la pieuse contemplation de ces augustes mystères, médités dans leur ordre, peut procurer aux fidèles un admirable secours, aussi bien pour alimenter leur foi et la protéger contre la contagion des erreurs que pour relever et entretenir la vigueur de leur âme. En effet, la pensée et la mémoire de celui qui prie de la sorte, éclairées par la foi, sont entraînées vers ces mystères avec l’ardeur la plus suave ; elles s’y absorbent et les pénètrent, et ne peuvent assez admirer l’œuvre inénarrable de la Rédemption des hommes, accomplie à un prix si élevé et par une succession de si grands événements.

L’âme alors s’enflamme d’amour et de gratitude, devant ces preuves de la charité divine ; elle sent se fortifier et s’accroître son espérance, et devient plus avide de ces récompenses célestes que le Christ a préparées pour ceux qui se seront unis à Lui en imitant Son exemple et en participant à Ses douleurs. Et cette prière s’exhale dans des paroles émanées de Dieu Lui-même, de l’archange Gabriel et de l’Église ; pleine de louanges et de vœux salutaires, elle se renouvelle et se continue dans un ordre déterminé et varié, et elle produit sans cesse de nouveaux et de doux fruits de piété.

Or, il y a d’autant plus de raisons de croire que la Reine du Ciel Elle-même a attaché à cette forme de prière une grande efficacité, que c’est sous sa protection et Son inspiration qu’elle a été établie et propagée par l’illustre saint Dominique, à une époque très hostile au nom catholique et assez peu différente de la nôtre, comme une sorte d’instrument de guerre tout-puissant pour combattre les ennemis de la foi. En effet, la secte hérétique des Albigeois avait envahi de nombreuses contrées, tantôt clandestinement, tantôt ouvertement ; fille cruelle des Manichéens dont elle répandait les monstrueuses erreurs, elle travestissait les dogmes, excitait au massacre des chrétiens et soulevait contre l’Église une haine profonde et implacable. À peine pouvait-on se fier aux puissances humaines contre cette tourbe si pernicieuse et si arrogante, lorsque le secours vint manifestement de Dieu Lui-même, par le moyen du Rosaire de Marie. Ainsi, grâce à la Sainte Vierge, si glorieusement victorieuse de toutes les hérésies, les forces des impies furent renversées et brisées, la foi fut sauvée et demeura intacte.

On sait de même que, dans de nombreuses circonstances et dans différents pays, des dangers de même nature ont été conjurés, des bienfaits analogues ont été obtenus : l’histoire des temps anciens et de ceux plus rapprochés de nous en fournit des témoignages éclatants. Il faut aussi ajouter cette autre preuve, évidente en quelque sorte, qu’aussitôt que la prière du Rosaire fut instituée, elle fut adoptée de toutes parts par les citoyens de toutes les classes et devint parmi eux d’un usage fréquent. C’est qu’en effet, la religion du peuple chrétien tient à honorer par des titres insignes et de mille façons la divine Mère, élevée si excellemment au-dessus de toutes les créatures par tant et de si grande gloire ; or, elle a toujours aimé particulièrement ce titre du Rosaire, cette manière de prier, qui est comme le mot d’ordre de la foi et qui résume le culte dû à Marie ; elle l’a pratiquée dans l’intimité et en public, dans l’intérieur des maisons et des familles, en instituant en son honneur des confréries, en Lui consacrant des autels, en L’entourant de toutes les pompes, convaincue qu’elle ne pourrait recourir à de meilleurs moyens pour orner les fêtes sacrées de la Sainte Vierge et pour mériter Son patronage et Ses grâces.

Nous ne devons point passer sous silence ce qui met ici en lumière la particulière protection de notre Souveraine. En effet, lorsque, par l’effet du temps, le goût de la piété a paru s’affaiblir dans quelque pays et la pratique de cette forme de prière se relâcher, on admire comment ensuite, soit à raison de quelque danger redoutable menaçant l’État, soit sous la pression de quelque nécessité, l’institution du Rosaire, bien plus que tous les autres secours religieux, a été rétablie d’après le vœu général, a repris sa place d’honneur et, de nouveau florissante, a exercé grandement son influence salutaire. Il n’est point nécessaire d’aller en chercher dans le passé des exemples, alors que notre époque elle-même nous en fournit d’admirables. Dans ce temps, en effet, qui, comme nous le disions en commençant, est si dur pour l’Église, et qui l’est devenu plus encore depuis que la sagesse divine Nous a placé au gouvernail, on peut constater et admirer avec quelle ardeur et quel zèle dans tous les pays et chez tous les peuples catholiques le Rosaire de Marie est pratiqué et célébré. Or, c’est plutôt à Dieu, qui dirige et mène les hommes, qu’à la sagesse et à la diligence humaine, qu’il faut attribuer ce fait, où notre âme puise une grande consolation et un grand courage, et qui nous remplit de la confiance absolue que, par la protection de Marie, les triomphes de l’Église se renouvelleront et s’étendront.

Il y a des chrétiens qui comprennent très bien tout ce que Nous venons de rappeler ; mais, parce que rien de ce qu’on espérait n’a encore été obtenu, et avant tout la paix et la tranquillité de l’Église ; bien plus, parce que la situation semble venir plus troublée et plus mauvaise, ils laissent se relâcher leur régularité et leur affection pour la prière, comme s’ils étaient fatigués et défiants. Mais que ces hommes réfléchissent et qu’ils s’appliquent à ce que les prières qu’ils adressent à Dieu soient revêtues des qualités nécessaires, selon le précepte de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Si elles les possèdent, qu’ils considèrent qu’il est injuste et qu’il est défendu de vouloir assigner à Dieu le moment et la manière de venir à notre secours ; car Dieu ne nous doit rien, si bien que, quand Il exauce nos prières et couronne nos mérites, Il ne fait autre chose que couronner Ses propres dons (8) et quand Il ne seconde pas notre manière de voir, c’est un bon Père qui agit avec prévoyance à l’égard de Ses fils, qui a pitié de leur fausse sagesse et qui ne prend conseil que de leur utilité. Mais ces prières, par lesquelles nous supplions Dieu de protéger Son Église, en les unissant aux suffrages des Saints du Ciel, Dieu les accueille toujours avec la plus grande bonté et les exauce, aussi bien celle qui concernent les intérêts majeurs et immortels de l’Église que celles qui visent des intérêts moindres, propres à ce temps, mains néanmoins en harmonie avec les premiers. Car, à ces prières s’ajoutent la puissance et l’efficacité assurément infinies des prières et des mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui aime l’Église et qui S’est livré pour elle afin de la sanctifier… et de Se la présenter à Lui-même pleine de gloire (9), Lui qui en est le Pontife suprême, saint, innocent, toujours vivant pour intercéder pour nous, et dont la foi divine nous enseigne que la prière et les supplications sont incessantes.

Quant aux intérêts extérieurs, à ceux qui ne regardent que cette vie, il est manifeste que l’Église a souvent à compter avec la malveillance et la puissance d’adversaires acharnés. Il lui faut s’affliger de les voir spolier ses biens, restreindre et opprimer sa liberté, attaquer et mépriser son autorité, lui infliger enfin toutes sortes de dommages et d’injures. Et si l’on se demande pourquoi leur méchanceté n’arrive point à ce degré d’injustice qu’elle se propose et qu’elle s’efforce d’atteindre : pourquoi, au contraire, l’Église, à travers tant d’événements divers, conservant sa même grandeur et sa même gloire, quoique sous des formes variées, s’élève toujours et ne cesse de progresser, il est légitime de chercher la cause principale de l’un et de l’autre fait dans la force de la prière de l’Église sur le cœur de Dieu ; autrement, en effet, la raison humaine ne peut comprendre que la puissance de l’iniquité soit contenue dans des limites si étroites, tandis que l’Église, réduite à l’extrémité, triomphe néanmoins si magnifiquement. Et cela apparaît mieux encore dans ce genre de biens par lesquels l’Église conduit les hommes à la possession du bien suprême. Puisqu’elle est née pour cette fonction, elle doit pouvoir beaucoup par ses prières, afin que l’ordre de la Providence et de la miséricorde divines ait dans Ses enfants son accomplissement et sa perfection ; et ainsi les hommes qui prient avec l’Église et par l’Église demandent et obtiennent, en définitive, ce que, avant tous les siècles, le Dieu tout-puissant a décidé de donner (10). Actuellement, l’esprit humain est impuissant à pénétrer la profondeur des desseins de la Providence ; mais il viendra un jour où, dans Sa grande bonté, Dieu montrant à découvert les causes et les conséquences des événements, il apparaîtra clairement combien l’office de la prière aura eu de puissance à cet égard et que de choses utiles il aura obtenues. On verra alors que c’est grâce à la prière qu’au milieu de la corruption si grande d’un monde dépravé, beaucoup se sont gardés intacts et se sont préservés de toute souillure de la chair et de l’esprit, accomplissant leur sanctification dans la croyance de Dieu (11) ; que d’autres, au moment où ils allaient se laisser entraîner au mal, se sont soudain retenus et ont puisé dans le danger et dans la tentation même d’heureux accroissements de vertu ; que d’autres enfin, qui avaient succombé, ont senti dans leur âme une certaine sollicitation à se relever et à se jeter dans le sein du Dieu de miséricorde.

C’est pourquoi Nous supplions avec les plus vives instances tous les chrétiens de peser ces pensées dans leur conscience, de ne pas céder aux supercheries de l’antique ennemi, de ne se laisser détourner sous aucun prétexte du goût de la prière, mais d’y persévérer au contraire et d’y persévérer sans interruption. Que leur premier soin soit de demander le bien suprême, c’est-à-dire le salut éternel de tous, et la conservation de l’Église ; puis il est permis de solliciter de Dieu les autres biens, pour l’utilité et la commodité de la vie, pourvu qu’on le fasse en se soumettant à Sa Volonté souverainement juste, et que, soit qu’Il accorde, soit qu’Il refuse ce qu’on désire, on Lui rende grâces comme à un Père infiniment bienfaisant. Enfin, que ces demandes soient adressées à Dieu avec la religion et la haute piété qui conviennent et qui sont nécessaires, à grands cris et avec larmes (12), comme les Saints ont eu coutume de le faire et comme en a Lui-même donné l’exemple notre Très Saint Rédempteur et Maître.

Ici, notre devoir et Notre paternelle affection exigent que Nous demandions au Dieu dispensateur de tous les biens, pour tous les enfants de l’Église, non seulement l’esprit de prière, mais encore l’esprit de la sainte pénitence. En le faisant de tout Notre cœur, Nous exhortons avec la même sollicitude tous et chacun en particulier à cette vertu si étroitement unie à l’autre. Car, si la prière a pour effet de nourrir l’âme, de l’armer de courage, de l’élever aux choses divines, la pénitence nous donne la force de nous dominer, et surtout de commander au corps, qui, par suite de la faute originelle, est l’ennemi le plus redoutable de la doctrine et de la loi évangéliques. Il y a entre ces vertus, cela est évident, une cohésion parfaite ; elles s’entraident et tendent l’une comme l’autre à détacher des choses périssables l’homme né pour le Ciel, et à l’emporter, pour ainsi dire, jusqu’à l’intimité céleste avec Dieu. Au contraire, celui dont l’âme est agitée par les passions et amollie par les plaisirs a le cœur aride et n’éprouve que du dégoût pour la suavité des choses du Ciel ; sa prière n’est qu’une voix glacée et languissante, indigne assurément d’être écoutée par Dieu.

Nous avons sous les yeux l’exemple de la pénitence des Saints, et les fastes sacrés nous apprennent qu’à cause d’elle précisément, leurs prières et leurs supplications ont été grandement agréables à Dieu et ont même eu la puissance d’opérer des prodiges. Ils dirigeaient et domptaient continuellement leur esprit, leur cœur et leurs passions ; ils se conformaient avec une soumission parfaite aux enseignements et aux préceptes de Jésus-Christ et de Son Église ; ils ne déterminaient leur volonté, qu’après avoir reconnu celle de Dieu ; dans toutes leurs actions, ils ne recherchaient rien autre que l’accroissement de Sa gloire ; ils réprimaient et brisaient énergiquement les mouvements tumultueux de leur âme ; ils traitaient leur corps durement et sans pitié ; ils poussaient la vertu jusqu’à s’abstenir des choses agréables et même des plaisirs innocents. Aussi pouvaient-ils s’appliquer avec raison ce mot que l’Apôtre saint Paul disait de lui-même : Pour nous, notre vie est dans les cieux (13), et c’est pourquoi leurs prières étaient si efficaces pour apaiser et fléchir Dieu.

Il est certain que tous ne peuvent point et ne doivent point faire tout cela ; cependant, que chacun corrige sa vie et ses mœurs par une pénitence proportionnée à ses forces, c’est ce qu’exigent les dispositions de la justice divine, qui a le droit de réclamer une réparation sévère pour les fautes commises ; or, il est préférable d’avoir accompli pendant la vie, par des peines volontaires, ce qui procure la récompense de la vertu.

En outre, dans le corps mystique du Christ, qui est l’Église, nous jouissons tous comme membre de la communauté de vie et de croissance ; d’où il suit, d’après saint Paul, que, de la façon dont les membres participent à chaque joie d’un des leurs, ils doivent aussi partager ses douleurs ; c’est-à-dire que les frères doivent aimer à secourir leurs frères chrétiens, en leurs souffrances spirituelles ou corporelles, et leur procurer la guérison dans la mesure du possible. Que les membres aient de la sollicitude l’un pour l’autre. Si un membre souffre, tous souffrent avec lui ; si l’un est heureux, tous se réjouissent avec lui. Vous êtes le corps du Christ et les membres du même corps (14).

Or, ce genre de charité qui, modelé sur l’exemple du Christ donnant, par un immense amour, Sa vie pour le rachat de nos péchés communs, consiste à prendre pour soi l’expiation des fautes d’autrui, cette charité enfin renferme le grand lien de perfection qui unit les fidèles entre eux et avec les habitants du Ciel, et les rapproche le plus étroitement de Dieu.

Enfin, l’action de la sainte pénitence est si diverse, si ingénieuse et si étendue, que toute personne, avec de la piété et du zèle, peut l’exercer très fréquemment et sans efforts.

Puissions-Nous, Vénérables Frères, grâce à Votre amour particulier et éminent pour la Très Sainte Mère de Dieu, grâce aussi à Votre affection à Votre sollicitude remarquables pour le peuple chrétien, Nous promettre avec Votre concours les meilleurs résultats de Nos admonitions et de Nos exhortations ! Nous brûlons de recueillir dès maintenant les fruits si agréables et si abondants que la piété des catholiques pour Marie a maintes fois produits dans Ses manifestations éclatantes. Qu’à Votre appel donc, à Vos exhortations et sous Votre conduite, les fidèles, surtout en ce mois qui approche accourent et s’assemblent autour des autels solennellement ornés de l’auguste Reine et de la Mère de bonté ; qu’ils Lui tressent et Lui offrent filialement des guirlandes mystiques, suivant le rite si répandu du Rosaire. Nous laissons entières et nous ratifions les prescriptions déjà édictées par Nous-même, ainsi que les indulgences concédées (15).

Quel état, quelle utilité dans ce concert de louanges et de prières qui s’élèvera par les villes, par les bourgs, par les villages, sur terre et sur mer, dans toute l’étendue de l’univers catholique, et que feront retentir des centaines de milliers d’âmes pieuses, saluant Marie à toute heure d’un cœur et d’une voix, implorant Marie, espérant tout par Marie ! Que l’universalité des fidèles Lui demande d’intercéder auprès de Son Fils pour que les nations dévoyées reviennent aux institutions et aux principes chrétiens, qui constituent la base du salut public et qui donnent une abondante floraison de la paix si désirée, et du vrai bonheur.

Que les fidèles Lui demandent aussi instamment le bien qui doit être le plus souhaité de tous, la liberté pour l’Église, leur Mère, et la paisible possession de cette liberté dont elle n’use qu’en vue de procurer aux hommes le souverain bien, et dont jamais ni particuliers ni États n’ont souffert dommage, mais dont ils ont toujours recueilli les bienfaits les plus grands et les plus nombreux.

Que Dieu Vous prodigue enfin, Vénérables Frères, par l’intermédiaire de la Reine du Très Saint Rosaire, les faveurs et les grâces célestes qui vous donneront des secours et un accroissement continuel de forces pour le saint accomplissement des devoirs de la charge pastorale. En gage et en témoignage de quoi, recevez la Bénédiction Apostolique que Nous Vous accordons très affectueusement, à Vous, à Votre clergé et aux peuples confiés à vos soins.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 22 septembre de l’année 1891, la quatorzième année de Notre Pontificat.
LÉON XIII, Pape.

Notes :

(1) I Thess., V, 17.
(2) II Thess., III, 2.
(3) Act., XII, 5.
(4) Luc., XXII, 43.
(5) III q. XXX, a. 1.
(6) Joan. I, 17.
(7) Ex sacr. Liturg.
(8) S. August. Ép. CXCIV, al. 105 ad Sixtum, c. V, n. 19.
(9) Éphés. V, 25, 27.
(10) S. Th. II 11, q. LXXXIII, a. 2, ex S. Greg. M.
(11) II Corinth., VII, 1.
(12) Hébr., V, 7.
(13) Phillip., III, 20.
(14) Corinth., XII, 25-27.
(15) Cf. Epistola Encyclica Supremi Apostolatus, die 1 septemb. anno MDCCCLXXXIII ; Epistola Encyclica Superiore anno, die 30 aug. an. MDCCCLXXXIX ; Décret. S. R. C. Inter plurimos, die 20 aug. an. MDCCCLXXXV ; Epistola Encyclica Quamquam pluries, die 15 aug. an. MDCCCLXXXIX.

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