Laurent, né à Huesca, en Espagne, eut le bonheur d’être élevé par des parents chrétiens, d’une probité reconnue et d’une vertu éclatante.
Il répondit aux soins qu’ils prirent de son éducation, et l’on admira la bonté de son caractère, la générosité de son âme, la docilité de son esprit, la pureté de son cœur. Encore tout jeune, il vint à Rome, entra dans le clergé et fut établi, comme archidiacre, gardien des vases sacrés et de l’argent destiné au service du culte ou à l’aumône.
L’Église vit bientôt s’allumer une sanglante persécution ; Valérien porta un édit qui condamnait à mort tous les ministres de l’Évangile. Un jour que le bienheureux Sixte célébrait les saints mystères au cimetière de Saint-Calliste, des soldats se saisirent de lui et le jetèrent chargé de chaînes dans la prison Mamertine. Laurent ne cessa de venir l’y visiter, pour lui rendre compte de la distribution des aumônes confiées à ses soins. Leur conversation fut surprise par un soldat, qui crut comprendre que l’archidiacre disposait de trésors considérables.
Bientôt on conduisit le pontife au supplice. Laurent le suivait tout en pleurs, et lui disait : « Où allez-vous, mon père, sans votre fils ? Où allez-vous, saint pontife, sans votre diacre ? » Sixte lui répondit : « Ce n’est pas que je t’abandonne, mon fils. Mais un plus grand combat t’est réservé : tu me suivras dans trois jours. » Comme il achevait ces paroles, sa tête tomba sous le glaive du bourreau.
Cependant le préfet de Rome ordonna de lui amener Laurent. Il croyait que les chrétiens avaient de grands trésors, et il espérait se les faire remettre. « Vous autres, chrétiens, » lui dit-il, « vous vous plaignez que nous vous traitons cruellement. Il n’est point ici question de supplices ; je vous demande ce qui dépend de vous. On raconte que dans vos cérémonies les pontifes offrent des libations avec des vases d’or ; que le sang des victimes est reçu dans des coupes d’argent, et que, pour éclairer vos sacrifices nocturnes, vous avez des cierges fixés sur des chandeliers d’or. On dit que, pour fournir à ces offrandes, les frères vendent leurs héritages, et réduisent parfois leurs enfants à l’indigence. Mettez au jour ces trésors cachés. L’empereur en a besoin pour solder les troupes et rétablir les finances de l’État. J’apprends que, selon votre doctrine, il faut rendre à chacun ce qui lui appartient : or, l’empereur reconnaît comme sienne la monnaie frappée à son image ; rendez donc, comme vous dites, à César ce qui est à César. Si je ne me trompe, votre Dieu ne fait point battre monnaie ; il a apporté des paroles en ce monde, mais point d’argent : rendez-nous donc l’argent et gardez les paroles. » — « J’avoue, » répondit le diacre, « que notre Église est riche ; l’empereur lui-même ne possède pas de si grands trésors. Je vous ferai voir ce qu’elle a de plus précieux ; mais donnez-moi quelque temps pour tout mettre en ordre, dresser l’état de toutes nos richesses et en faire le calcul. » Le préfet lui accorda trois jours.
Dans cet intervalle, Laurent parcourut la ville pour chercher en chaque rue les pauvres que l’Église nourrissait. Il les rassembla tous : lépreux, aveugles, boiteux, paralytiques, malades couverts d’ulcères, et les rangea dans la cour de l’église.« Venez, » dit-il ensuite au préfet, « vous verrez une grande cour pleine de vases précieux et de lingots d’or entassés sous les galeries. » Puis, ouvrant la porte, il lui montra toutes les infirmités humaines réunies : « Voilà, » lui dit-il,« voilà les trésors dont je vous parlais. ai joint les perles et les pierreries ; vous voyez les vierges et les veuves : c’est la couronne de l’Église. Profitez de ces richesses pour Rome, pour l’empereur et pour vous-même. » Le préfet, exaspéré, se livre à tous les transports de sa fureur et donne l’ordre de déchirer le diacre à coups de fouets, comme le plus vil des esclaves. Laurent soutient la torture avec une rare intrépidité puis on le mène en prison. Là, un aveugle, nommé ; Lucile, se jette aux pieds du martyr, lui prend la main, se l’applique sur les yeux et recouvre aussitôt la vue. Ce miracle convertit l’officier Hippolyte, chargé de là garde du prisonnier.
Le lendemain Laurent reparaît au tribunal. Le préfet lui ordonne de sacrifier à Jupiter, sous peine des plus affreux supplices. A son refus, les bourreaux étendent le diacre sur un chevalet, lui disloquent les membres et le fouettent cruellement avec des scorpions. Ce fut alors que Romain, un des soldats de la garde, vit un ange essuyer la sueur et le sang du martyr. Athlète invincible, Laurent bénissait Dieu et demeurait calme devant la rage des soldats qui le frappaient avec fureur. Le tyran, déconcerté, jure dans son dépit qu’il inventera, pour vaincre l’obstination de sa victime, des tortures inouïes. « Vos tortures ? » s’écrie le patient, « mais elles font mes délices ! ».
Le juge fit apporter un immense gril de fer, sous lequel on mit des charbons ardents. Le saint diacre y fut étendu et y rôtit à petit feu. Sa constance, sa joie même pendant que ses chairs brûlaient et que la graisse de son corps découlait sur le brasier, amena la conversion d’un grand nombre de païens. Au milieu des atroces souffrances d’un pareil supplice, la figure du martyr était rayonnante, et il s’exhalait de lui les parfums les plus embaumés. Avant de mourir, il trouva la force d’apostropher son bourreau : « Voilà déjà un côté rôti, » lui dit-il, « fais-moi retourner. C’est assez cuit maintenant, tu peux manger. » Puis il se remit à prier jusqu’au moment où son âme, dégagée des liens du corps, fut portée par les anges au séjour des immortelles joies. Ce martyre eut lieu sur le mont Viminal,le 10 août 258.
L’église de Saint-Laurent-in-Lucina (près du Corso) possède le gril de l’illustre martyr. Formé de grosses barres de fer d’une longueur de deux mètres sur un mètre de largeur, six pieds le fixaient dans une table de marbre sur laquelle on avait étendu un lit de charbons enflammés. La table de marbre se conserve à Saint-Laurent-hors-des-murs, où reposent les cendres de Pie IX.
RÉFLEXION PRATIQUE
Les trésors de l’Église, dit saint Laurent, ce sont les pauvres. Parce que, en leur faisant du bien, ils nous ouvrent, selon la pensée d’un saint père, la porte du paradis.