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Vincent de Paul, un des plus grands bienfaiteurs de l’humanité, naquit le 24 avril 1576, à Pouy, près de Dax, au pied des Pyrénées.

Guillaume, son père, élevait ses six enfants dans son petit domaine, au milieu des travaux de la vie champêtre. Vincent gardait les troupeaux. De son enfance on ne sait guère qu’une chose, c’est que la chanté fut sa première vertu. Quand, tout jeune, il revenait du moulin où son père l’envoyait chercher de la farine pour le pain du ménage, s’il rencontrait quelque vieillard ou quelque pauvre femme, il leur en donnait plusieurs poignées : « De quoi son père, qui était homme de bien, témoignait n’être pas fâché. » (Abelly.) Une fois, Vincent fit plus. Son petit trésor, trente sous qu’il était parvenu à force de travail et d’épargnes à s’amasser, il le donna tout entier. Ses heureux dons d’esprit le firent mettre chez les cordeliers de Dax. Il y fit des progrès si rapides qu’il put bientôt se charger d’instruire les autres. Un avocat de la ville lui confia l’éducation de ses fils. A vingt ans, le jeune précepteur vint à Toulouse, fit son cours de théologie en dirigeant une petite école, entra dans les ordres et, le 23 septembre de l’année 1600, reçut l’onction sacerdotale des mains de Mgr Bourdeille, à Château-l’Évêque, près de Périgueux.

Ses supérieurs ecclésiastiques le nommèrent alors à une riche cure, mais il céda devant un compétiteur : digne disciple de la croix, il donna sa démission, reprit l’enseignement et continua ses propres études. A cette époque, il fit le voyage de Marseille pour recueillir le petit héritage qu’une vieille dame lui avait légué. Il retournait par mer à Narbonne, lorsque le bâtiment qui le portait fut attaqué par trois brigantins d’Afrique. Les pirates s’emparèrent du navire, enchaînèrent l’équipage et les passagers, et abordèrent à Tunis. Vincent, vendu comme esclave, tombe entre les mains d’un maître impitoyable, d’un renégat qui avait fait argent de son Dieu ; il finit par le convertir et vient aborder avec lui sur les côtes de la Provence. Il va au tombeau des saints apôtres, à Rome, accomplir un pèlerinage de délivrance. Là il s’inspire de la foi de Pierre, de l’ardeur de Paul, de la charité de Jean, et reçoit du cardinal d’Ossat une mission pour Henri IV, roi de France.

Au lieu de profiter de l’occasion pour fréquenter la cour, l’humble prêtre se logea près de l’hôpital de la Charité, dont il aimait à servir et consoler les malades. On le fit connaître à l’ex-reine Marguerite ; il devint un de ses aumôniers. Dans la maison de cette aimable princesse, Vincent eut l’occasion d’accomplir un de ces actes de charité qui marquent même dans la vie d’un grand saint. Il y trouva un docteur, savant controversiste, que la reine avait appelé auprès d’elle pour sa science et sa piété. Cette nouvelle condition lui fit abandonner l’emploi de théologal qu’il remplissait dans son diocèse, « et comme il ne prêchait ni ne catéchisait plus, » raconte le saint, « il se trouva assailli, dans le repos où il était, d’une rude tentation contre la foi… jusque-là qu’il se sentait poussé, (dans son désespoir,) à se précipiter par une fenêtre. » Une tendre compassion porta Vincent de Paul à s’offrir à Dieu pour supporter l’épreuve à la place du malheureux docteur. Dieu le prit au mot : le pauvre prêtre retrouva le calme, mais Vincent fut attaqué par l’enfer et tourmenté au plus profond de son esprit par des doutes affreux. A bout de résistance, il écrivit le Credo sur un papier qu’il s’appliqua sur le cœur, en faisant avec Dieu ce pacte d’une sainte familiarité, que toutes les fois qu’il porterait la main à cet endroit, il entendait désavouer la tentation. Il luttait contre elle depuis trois ou quatre ans, lorsqu’il s’avisa un jour de prendre la résolution ferme et inviolable de s’adonner toute sa vie, pour l’amour de Jésus-Christ, au service des pauvres.

A l’instant, la tentation s’évanouit. Si, de son côté, Vincent fut fidèle à sa promesse, toute sa vie en témoigne. Nommé par le cardinal de Bérulle à la cure de Clichy (1612), ce saint prêtre renouvela la face de cette paroisse, qui le pleura comme un père lorsqu’il fut envoyé comme précepteur dans la maison de Gondi. Poussé par le désir de la retraite, Vincent s’échappa, quelques années plus tard, de ce poste distingué, pour aller combattre l’hérésie dans la Bresse, en qualité de curé de Châtillon. Il y opérait un bien immense ; mais la famille de Gondi finit par obtenir son retour à Paris.

C’était l’heure marquée pour ses grandes entreprises. Touché de l’abandon où se trouvaient les gens de la campagne, Vincent de Paul s’associa des prêtres zélés pour leur venir en aide, et fonda la congrégation des prêtres de la Mission, approuvée par le pape Urbain VIII. Plus tard, le triste état des pauvres et des malades lui inspira l’association des dames de charité ; et pour leur donner des bras qui pussent agir, avec le concours d’une femme admirable, Louise de Marillac, veuve Legras, il fit jaillir de son cœur l’établissement des filles de la charité. Les premières étaient ses trésorières, les secondes sa milice active, et ses prêtres les chefs qui guidaient ces légions à l’assaut du malheur.

Vincent de Paul envoie ses lazaristes aux villes et aux campagnes, pour y faire fleurir la foi et la vertu ; il fonde des séminaires, et les dirige par leur entremise, pour donner à la France des prêtres vertueux et instruits ; il charge ses sœurs d’apprendre aux jeunes filles à lire, à travailler, à conserver l’innocence, ou de retourner l’infirme sur sa couche et de lui prodiguer les plus tendres soins ; il donne aux armées ses prêtres pour sanctifier les soldats, ses religieuses pour soigner les malades et panser leurs blessures ; il fait ouvrir à ses enfants et à lui-même les prisons et les bagnes, pour les purifier, et il devient l’aumônier général des galères ; il descend jusque dans les antres du vice, pour transformer ses victimes en Madeleines pénitentes ; il ramasse dans les rues les petits enfants, fruits délaissés de l’inconduite et de la misère, pour leur donner des mères et une famille ; il prépare aux vieillards indigents un asile où ils attendront en paix la mort.

Son zèle ne se contente pas de couvrir la France : il en franchit les limites et s’étend sur l’Angleterre, l’Italie, la Pologne, nourrit des provinces entières pendant des années, sauve des horreurs de la famine et de la peste la Champagne, la Picardie, la Lorraine. Il suit sur les côtes barbaresques les chrétiens captifs, et ses enfants s’ensevelissent, pour sauver leurs frères, dans les bagnes pestiférés de Tunis, d’Alger, de Smyrne, de Constantinople ; il atteint par eux aux plages de l’Orient et porte la lumière de l’Évangile aux Indes et à la Chine.

Que de sagesse, de zèle, de dévouement et de persévérance ne fallait-il pas a Vincent pour mener de telles et si nombreuses entreprises ! L’institution des enfants trouvés, par exemple, lui coûta pendant de longues années des sollicitudes incessantes. La vue d’un mendiant qui déformait les membres d’un de ces petits malheureux pour exploiter la compassion publique, l’avait décidé à les secourir. Il en prit d’abord douze et les confia aux filles de la charité. Durant dix années l’œuvre se maintint avec peine, elle menaça même de disparaître. Vincent réunit alors toutes les dames patronnesses et, dans une de ces allocutions que le cœur seul peut inspirer, conclut en ces termes : « Or sus, mesdames, la compassion et la charité vous ont fait adopter ces petites créatures pour vos enfants. Vous avez été leurs mères selon la grâce, depuis que leurs mères selon la nature les ont abandonnés. Voyez maintenant si vous voulez les délaisser. Cessez d’être leurs mères, pour devenir à présent leurs juges : leur vie et leur mort sont entre vos mains. Je m’en vais prendre les voix et les suffrages ; il est temps de prononcer leur arrêt et de savoir si vous ne voulez plus avoir de miséricorde pour eux. Ils vivront, si vous continuez d’en prendre un charitable soin ; et au contraire, ils mourront et périront infailliblement, si vous les abandonnez : l’expérience ne vous permet pas d’en douter. »

A ces paroles, qu’un grand maître de l’éloquence a jugé dignes de ses éloges, les larmes coulent, la charité vote et l’œuvre est sauvée. Louis XIII donne d’abord le château de Bicêtre pour y loger ces pauvres petits ; on les transporte ensuite dans une maison plus saine du faubourg Saint-Lazare. Douze filles de la Charité sont préposées à leur éducation. Des nourrices de campagne élèvent les nouveau-nés ; après le sevrage, ils reviennent apprendre à parler et à prier Dieu ; les plus grands s’exercent, sous la direction des sœurs, à quelque travail manuel en attendant l’âge de prendre un état. Tel fut le premier hospice des enfants trouvés. Vincent de Paul avait réalisé merveilleusement la parole du prophète : Que s’il se trouvait des mères assez dénaturées pour oublier et délaisser leurs propres enfants, la divine Providence prendrait soin d’eux en leur donnant des mères meilleures.

Le zèle du saint prêtre ne se bornait pas à concevoir, organiser et diriger ses œuvres. Il payait de sa personne et donnait à tous l’exemple du dévouement. Il servait lui-même les pauvres ; à l’hôpital il affronta souvent les maladies contagieuses. Une fois des soldats furieux poursuivaient devant lui un artisan. Déjà ils l’avaient atteint et ils allaient le blesser. L’homme de Dieu se jette entre leurs épées et lui fait un rempart de son corps au péril de sa propre vie. Son courage étonne et arrête les soldats, ses doux reproches les désarment, et ils se retirent.

Vincent de Paul n’était pas seulement charitable. La reine des vertus trouvait en lui pour escorte d’honneur une humilité profonde, une douceur angélique, l’esprit d’oraison, l’amour du sacrifice. Il se confessait presque tous les jours, tant il avait horreur des moindres imperfections. Il célébrait à l’autel avec une gravité, avec une onction qui frappaient tous les assistants. Sa messe dite, il aimait d’en servir une seconde, comme le plus modeste clerc. Il récitait ensuite son bréviaire et lisait l’Ecriture sainte à genoux et tête nue. Alors commençait pour Vincent la vie active. La prière lui suffit, il ne déjeune pas. Il remonte dans sa chambre pour vaquer aux multiples affaires qui l’attendent. Ni feu, ni cheminée dans cette cellule. Deux chaises de paille, une table, un grabat, un crucifix et quelques images collées au mur, c’est tout le mobilier. A quatre-vingts ans, on le força de changer de chambre, parce qu’il avait besoin d’un peu de feu pour panser ses pauvres vieilles jambes ; mais ce bois qui brûle, c’est le bien des pauvres, et il le dispute à son maigre foyer. Cependant il travaille, il écrit, il reçoit. Tout le monde a affaire à Saint-Lazare : évêques, prêtres, dames de charité, supérieurs de communauté, grands du monde, pauvres, y viennent tour à tour ; aucune œuvre ne peut se passer de Vincent ; il est le conseil de toutes les entreprises, la providence de tous les besoins. Ses affaires l’appellent lui-même dehors ; il sort, mais à travers les rues tumultueuses il ne voit, il n’entend que Dieu. Chaque jour il visite quelques-uns des établissements ou couvents qu’il dirige, préside l’assemblée des dames et des seigneurs, ou assiste au conseil de conscience. Ici c’est une confrérie de charité, là c’est un hôpital qui l’appelle. Les malades, les vieillards, les forçats l’attendent, et il doit aussi aller voir les grands personnages, les dames du haut monde, pour les intéresser à ses œuvres. La journée se passe. Vincent n’a fait attention ni au temps ni à l’heure. Il rentre tard, et son premier repas n’est pas encore pris. Si l’heure du souper de la communauté est passée, il ne veut que des restes. Puis, dans le silence de la solitude et du recueillement, il vaque à cette prodigieuse correspondance où l’on croirait voir plutôt les occupations d’un gouvernement que le travail d’un homme. Minuit souvent le trouvait encore à écrire. Et il s’était levé à quatre heures ! Va-t-il enfin prendre un peu de repos ? Non, il lui reste à prier Dieu une dernière fois, à faire pénitence de ses fautes. Le cilice, les ceintures de pointes, une haire horriblement hérissée, ne lui ont pas suffi pendant la journée ; il s’arme de la discipline et mêle son sang aux sueurs de la fièvre.

Sa robuste nature finit par succomber à une vie qui tenait du prodige. Dieu permit à la vieillesse et aux infirmités d’avoir raison de cette âme jusque-là maîtresse de son corps. Lorsqu’il ne put plus marcher, il se traînait sur ses béquilles jusqu’à la chapelle de l’infirmerie pour entendre la messe et recevoir le pain des forts. Nuit et jour il souffrait cruellement. Au milieu de ses tortures, la douleur ne pouvait lui arracher que ce cri : « Ah ! mon Sauveur ! mon bon Sauveur ! » Le 26 septembre 1660 il fut pris d’un profond assoupissement. C’était la mort qui venait. On commença les onctions. Le bon père, faisant un dernier effort, répondait Amen aux prières. Après minuit, un des assistants commence le Credo. Credo, répond le saint à chaque verset, et il baise son crucifix ; — Confido, et il baise encore ce gage sacré de son espérance. Son visage couvert de sueur passe tout à coup du rouge vermeil au blanc de neige. Il remue les lèvres pour balbutier encore quelques saintes paroles, sa tête s’incline, et il s’éteint doucement.

Aussitôt un cri retentit : Le saint est mort ! La foule se précipite à Saint-Lazare ; tout ce qu’il y a de grand à Paris, princes, évêques, parlement, noblesse, assiste aux funérailles ; les pauvres y sont aussi, pleurant leur père. Bientôt les témoins de la vie de ce prêtre proclament sa sainteté : c’est le roi de France, le roi et la reine exilés d’Angleterre, le grand-duc de Toscane, le sénat de Gênes, l’épiscopat français tout entier, Fénelon et Bossuet à sa tête, le clergé des deux ordres, le parlement, le peuple.

A ces témoignages de la terre le Ciel répond par des miracles. Le procès de canonisation est instruit, l’Église prononce, et Vincent de Paul, par la voix de Clément XII, le 11 avril 1736, est proclamé saint.

RéFLEXION PRATIQUE

Ô merveilles de la charité ! saint Vincent de Paul n’était qu’un pauvre petit paysan, mais il avait dans le cœur la passion de la bienfaisance : elle lui fit enfanter des prodiges. A son exemple, aimons notre prochain, ayons pour les malheureux des entrailles de père.

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