Nous prions Dieu dévotement
Et Monseigneur saint Jean-Baptiste
Qu’il nous mène à sauvement
En Paradis où il habite.
Voici le Saint dont Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même a prononcé le plus complet panégyrique, lorsqu’il a dit : Parmi les fils des hommes, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean-Baptiste. De fait, il possède toutes les supériorités. Dernier des patriarches, il est prophète, annonçant l’apparition prochaine du Messie ; il est apôtre, puisqu’il a converti les foules et les a conduites au Christ ; vierge, il est encore le martyr de la chasteté ; et nul n’a plus hautement confessé, proclamé l’Agneau de Dieu, à qui en outre il a préparé les voies, héraut de Celui qui venait effacer les péchés du monde.
Il était étroitement apparenté à Jésus. Une de ses grand’mères aurait eu pour sœur sainte Anne ; et donc, de son père Zacharie ou de sa mère Elisabeth était cousine germaine la très sainte Vierge. Zacharie descendait, par son père, de la tribu de Lévi et appartenait, parmi les prêtres, à la section d’Abias. Il habitait, selon les uns, à Iouttah, petite localité près d’Hébron, au sud de Jérusalem ; selon les autres, —plus nombreux et plus vraisemblablement, — à Karem, aujourd’hui Aïn-Karim, à l’ouest et tout près de la Ville sainte.
En 748 de Rome, Zacharie était depuis une quinzaine d’années l’époux d’Elisabeth. Ils n’étaient âgés ni l’un ni l’autre, si, comme tout le fait penser, ils avaient contracté leur union selon les usages, presque les lois des Juifs, l’un vers dix-huit ans, l’autre à peu près à douze. Mais après de si longues années de mariage, malgré leur piété et leurs vertus, ils n’avaient point encore d’enfants ; et selon les idées de leur peuple, cette stérilité, qui semblait définitive, était le signe d’une défaveur, même d’une malédiction divine. Aussi en étaient-ils profondément affligés, d’autant plus que, si leurs amis leur en témoignaient leur peine compatissante, les indifférents et surtout, s’ils en avaient, les jaloux et les ennemis ne manquaient pas de relever ce qu’ils appelaient une honte. L’oncle et la tante de Zacharie, Joachim et Anne sa femme, avaient passé par la même épreuve ; mais ils l’avaient vue se terminer bien plus vite par la naissance d’une petite fille, Marie. Eux, ils attendaient toujours, dans la prière et une humiliation profonde.
Or à la fête des Tabernacles de l’an 748, qui se célébrait du 15 au 22 tisri (c’est-à-dire, cette année-là, du 27 septembre au 4 octobre), Zacharie était monté à Jérusalem pour y exercer ses fonctions sacerdotales avec sa section. Le chef avait tiré au sort le nom de ceux qui, à chaque sacrifice, entreraient dans le Saint, pour y offrir l’encens. Zacharie était de leur nombre. Son tour tomba sans doute un jour de solennité plus grande, peut-être l’octave de la fête, car une grande foule de peuple était réunie sur les parvis. Superbement paré, l’encensoir à la main, il s’était dirigé avec recueillement vers le Saint. Il y entra et le peuple le perdit de vue. On l’attendit longtemps, et déjà on redoutait un accident, lorsqu’il reparut ; mais en vain s’efforçait-il de prononcer quelques paroles et d’expliquer la cause de son retard. Il était muet et l’on comprit, du moins à l’expression de son visage et à ses gestes, qu’il avait eu une vision et qu’elle l’avait consolé.
En effet, à droite de l’autel des parfums, l’ange du Seigneur lui avait apparu, et tout d’abord le prêtre s’était effrayé. Mais l’ange : Ne crains pas, Zacharie, lui dit-il, ta prière a été exaucée. Ta femme. Elisabeth te donnera un fils ; tu rappelleras Jean. Il sera pour toi un sujet d’allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance, car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira aucune boisson enivrante ; il sera rempli de l’Esprit-Saint dès le sein de sa mère. Il convertira beaucoup d’enfants d’Israël au Seigneur leur Dieu ; lui-même marchera devant lui avec l’esprit et la puissance d’Elie, pour ramener les cœurs des pères vers les enfants et les indociles à la sagesse des justes ; ainsi préparera-t-il au Seigneur un peuple parfait Alors Zacharie, touché d’un doute, interrogea : A quoi reconnaîtrai-je la vérité de cette promesse ? Je suis déjà avancé en âge, ma femme aussi : pouvons-nous espérer un enfant ? — Je suis Gabriel, reprit l’ange, sévère, et je me tiens devant Dieu. Il m’a envoyé pour l’annoncer cette nouvelle. Mais puisque tu doutes et que tu veux un signe, voici que tu seras muet jusqu’à la réalisation de mes paroles. Il disparut.
Le prêtre sortit ; il traversa la foule interdite, stupéfaite, qui se rangeait à son passage. Bientôt il quitta Jérusalem ; son infirmité subite le rendait incapable de s’acquitter désormais de son sacerdoce. Use retira dans sa villa de Karem, et peu après, selon la parole de l’ange Gabriel, Elisabeth reconnut qu’elle serait mère.
Les deux époux cependant, aux yeux du monde, s’abîmaient dans une humiliation nouvelle. Non seulement la stérilité de la femme, à laquelle on croyait toujours, était un opprobre, une sorte de malédiction céleste ; mais voilà, encore que le mari avait été frappé par Dieu; au milieu même de ses fonctions sacerdotales ! La colère divine s’acharnait donc contre eux ? Aussi vivaient-ils dans l’isolement ; de bien rares visiteurs franchissaient le seuil de la maison ; ils venaient branlant la tête, ils partaient sur de fausses paroles de consolation qui voilaient mal leurs sentiments défavorables. Mais dorénavant Zacharie et Elisabeth avaient de quoi se consoler de ces dédains, en attendant le jour où la bénédiction de Dieu paraîtrait à la vue de tous.
Et ce jour arriva. On ne put douter de la prochaine maternité ; les amis revinrent, apportant des félicitations : c’était une croyance, en effet, que Dieu appelait à un grand avenir l’enfant né dans ces conditions anormales. Tel avait été jadis Samuel. Qu’attendrait-on du fils de ces deux saints personnages ? Eux cependant s’étaient hâtés d’envoyer prévenir leurs parents, surtout ceux de Nazareth : Anne, si elle vivait encore, Marie, que Zacharie avait entourée au Temple de ses bons offices. Et Marie, prompte à les féliciter, s’empressa d’accourir. Selon la volonté de Dieu, elle apportait avec elle, en elle, le Verbe incarné dont la présence purifierait du péché originel l’âme de l’enfant qui allait naître.
Et les jours d’Elisabeth s’accomplirent et elle mit au monde un fils, sa gloire ! Autour d’elle voisins et parents s’étaient réunis pour se réjouir que le Seigneur eût mis fin à l’humiliation des deux époux. Mais s’ils avaient su la destinée de ce fils ! Le huitième jour après la naissance, l’enfant fut circoncis. C’était au père à lui donner le nom qu-il porterait ; mais il était muet et sourd : on crut que ce privilège qu’il semblait ne pouvoir exercer, la mère en userait. Et on lui proposait de nommer son fils Zacharie, comme son époux. Mais vivement, rompant avec l’usage qui prenait le nom du nouveau-né au moins dans la parenté, elle répondit : « Du tout ; il s’appellera Jean ! » Jean ? pourquoi ? Contre ce caprice apparent, auquel elle se tenait, on invoqua le père ; par signes on lui demanda son avis. Alors prenant une tablette, il écrivit : Jean est son nom. Et tout de suite, au milieu de l’étonnement et, bientôt, de l’admiration de tous, sa langue se délia, sa bouche s’ouvrit et il se mit à louer Dieu.
Tout le monde sait ce cantique que l’Évangile a consacré, dont l’Église fait un de ses chants préférés : Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, parce qu’il a visité et racheté son peuple. Il a suscité pour nous une force de salut dans la maison de David son serviteur… Et toi, enfant, — continua l’heureux père en s’adressant à son fils, dans un élan prophétique, — tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies et donner à son peuple la science du salut dans le pardon de ses fautes, par la tendre pitié de noire Dieu, grâce à laquelle nous a visités le Soleil levant, pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort et redresser nos pas dans le chemin de la paix.
Cette naissance miraculeuse, cette infirmité soudaine et soudainement guérie, cet enthousiasme prophétique remplirent d’une sainte crainte tous ceux qui en entendirent parler. Et bientôt sortait de toutes les lèvres cette interrogation émerveillée : Que pensez-vous que sera cet enfant ? La main de Dieu s’est montrée sur lui.
La nuée qui s’était si brillamment ouverte sur ce berceau se referma. Le silence se fit sur l’enfant béni, si complet que l’on ne sait plus rien de ce que furent ses premières années. On lit seulement dans l’Évangile qu‘il demeura dans le désert jusqu’au jour de sa manifestation devant Israël. Là, soit au sud de la Palestine, soit vers Test, près du lit du Jourdain et de la mer Morte. Dieu lui apprit lui-même l’austérité de vie, le zèle vigoureux et les secrets divins qui devaient composer la physionomie sainte du Précurseur.
« Prophète du Très-Haut » (All.) , S. Jean est figuré par Isaïe et Jérémie (Intr., Ép., Grad.) ; mieux qu’eux encore, il fut consacré dès le sein de sa mère pour annoncer Jésus (Secr.) et préparer les âmes à sa venue (All.) . l’Évangile nous retrace les prodiges qui marquèrent sa naissance. Zacharie impose à son enfant le nom que S. Gabriel lui a apporté du ciel et qui signifie : Le Seigneur a fait grâce. Il recouvre aussitôt la voix et, rempli de l’Esprit-Saint, il prédit les grandeurs de son fils : « Il ira devant la face du Seigneur pour donner au peuple la connaissance du salut ».
L’ange Gabriel avait annoncé à Zacharie que « beaucoup se réjouiraient de la naissance de S. Jean-Baptiste » (1). Ce ne furent pas seulement, en effet, « les voisins et les parents d’Élisabeth » (2), qui fêtèrent cet événement, mais chaque année, au jour de l’anniversaire, l’Église toute entière convie ses enfants à partager cette sainte joie. Elle sait que la nativité « de ce Prophète du Très-Haut » (3) en cette Noël d’été est intimement liée à l’avènement du Messie. À partir de la fête de la Nativité de S. Jean, les jours décroissent, car le soleil ayant atteint le point culminant de sa course annuelle, se remet à descendre. Au contraire, la fête de la Nativité du Sauveur, dont celle-ci est le prélude, marque l’époque où le soleil recommence à monter sur son orbite. Le Précurseur doit s’effacer devant Jésus qui est la vraie lumière des âmes. « Il faut qu’il croisse, dit S. Jean, et que je diminue » (4). Les solstices étaient l’occasion de fêtes païennes où l’on allumait des feux pour honorer l’astre qui nous donne la lumière. L’Église christianisa ces rites en y voyant un symbole de S. Jean qui était « une lampe ardente et brillante » (5). Aussi « encourageait-elle ce genre de manifestation qui correspondait si bien au caractère de la fête. Les feux de la Saint-Jean complétaient heureusement la solennité liturgique ; ils montraient unies dans une même pensée l’Église et la cité terrestre » (6). Le nom du Précurseur est inscrit au Canon de la Messe en tête de la 2 e liste, (p. 136). On célébrait autrefois, au jour de sa fête, trois messes en son honneur, et nombreuses étaient les églises qui lui étaient dédiées. Les parents aimaient de même à donner son nom à leurs enfants. Paul diacre, moine du Mont-Cassin et ami de Charlemagne, avait composé en l’honneur de S. Jean-Baptiste l’hymne : « Ut queant laxis ». Au XIII e siècle, le moine bénédictin Guy d’Arezzo remarqua que les notes chantées sur les syllabes initiales formaient la série des six premiers degrés de la gamme. Il désigna chaque degré par la syllabe correspondante : (Ut,ré, mi, fa, sol, la, si , et facilita beaucoup par là l’étude des intervalles musicaux.
Ut – queant laxis resonare fibris – (Do-ré).
Mira gestorum famuli tuorum – (Mi-fa).
Solve polluti lábii reatum – (Sol-la).
Sancte Jo hannes – (Si).
« Afin que vos serviteurs puissent chanter à pleine voix les merveilles de vos œuvres, purifiez leurs lèvres souillés, ô saint Jean ». Zacharie, faisant savoir qu’il voulait appeler son fils Jean, avait aussitôt retrouvé l’usage de la parole ; et voici qu’une hymne composée en l’honneur du Prophète dont la voix retentit au désert, devient l’instrument d’un nouveau progrès dans l’art musical.
(1). S. Luc 1, 14. — (2). Id. 1, 58. — (3). Id. 1, 76. — (4). S. Jean 3, 30. — (5). Id. 5, 35. — (6). Année Liturgique de D. Guéranger : La nativité de S. Jean-Baptiste.
Lecture du Prophète Isaïe.
Îles, écoutez, et vous, peuples lointains, soyez attentifs. Le Seigneur m’a appelé dès le sein de ma mère ; lorsque j’étais encore dans ses entrailles, il s’est souvenu de mon nom. Il a rendu ma bouche semblable à un glaive acéré, il m’a protégé à l’ombre de sa main ; il a fait de moi comme une flèche choisie, il m’a caché dans son carquois.
Et il m’a dit : Tu es mon serviteur, Israël, et je me glorifierai en toi. Et maintenant le Seigneur dit, lui qui m’a formé dès le sein de ma mère pour être son serviteur : Voici que je l’ai établi pour être la lumière des nations, et mon salut jusqu’à l’extrémité de la terre. Les rois verront et les princes se lèveront, et ils adoreront, à cause du Seigneur qui a été fidèle, et du Saint d’Israël qui t’a choisi.
✝️ Suite du S. Évangile s. S.Luc
Le temps où Élisabeth devait enfanter s’accomplit, et elle mit au monde un fils. Ses voisins et ses parents apprirent que le Seigneur avait signalé envers elle sa miséricorde, et ils l’en félicitaient. Et il arriva qu’au huitième jour ils vinrent pour circoncire l’enfant, et ils l’appelaient Zacharie, du nom de son père. Mais sa mère, prenant la parole, dit : Non, mais il sera appelé Jean. Ils lui dirent : Il n’y a personne dans ta famille qui soit appelé de ce nom. Et ils faisaient des signes à son père, pour savoir comment il voulait qu’on l’appelât. Et, demandant des tablettes, il écrivit : Jean est son nom. Et tous furent dans l’étonnement. Au même instant, sa bouche s’ouvrit, et sa langue se délia, et il parlait en bénissant Dieu. Et la crainte s’empara de tous leurs voisins, et, dans toutes les montagnes de la Judée, toutes ces choses étaient divulguées. Et tous ceux qui les entendirent les conservèrent dans leur cœur, en disant : Que pensez-vous que sera cet enfant ? Car la main du Seigneur était avec lui. Et Zacharie, son père, fut rempli du Saint-Esprit, et il prophétisa, en disant : Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, de ce qu’il a visité et racheté son peuple.
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