L’impiété cache souvent ses haines sous des sourires, souvent elle trouve que le plus sûr moyen de vaincre Dieu, c’est de se moquer de lui. De là ces quolibets, ces chansons populaires, ces jeux de mots, ces plaisanteries grossières qui courent les rues et jettent le ridicule sur ce qu’il y a de meilleur et de plus saint.
En commençant cette partie de ses prédications, que l’on appelle le sermon de la montagne, Notre-Seigneur Jésus-Christ laissa tomber de ses lèvres divines une parole qui n’a point échappé aux insultes de ceux qui ont le malheur de n’avoir pas la foi.
Le démon de l’impiété n’a pas compris, ou du moins il a fait semblant de ne pas comprendre tout ce que cette parole avait de sublime et de consolant, et, jouant sur les mots, il a prétendu, en levant dédaigneuse ment les épaules, que l’Évangile n’appelait au ciel que les gens sans intelligence et sans éducation. « Voyez plutôt, a-t -il dit : Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est pour eux . N’est -ce pas clair ? « Les pauvres d’esprit, » c’est-à-dire les ignorants, les gens sans esprit et sans intelligence sont seuls bons à être chrétiens ! »
Il y a deux espèces de « pauvres d’esprit : » ceux dont parle l’Évangile, et ceux dont il ne parle pas. Ces derniers composent une classe nombreuse d’individus qui ne savent rien et parlent de tout, qui se croient profonds et ne sont que creux, dont les jugements en matière de religion, de science, de philosophie, etc., font sourire de pitié tout homme de bon sens.
Les pauvres d’esprit dont parle l’Évangile n’ont, grâce au ciel, aucun rapport avec ceux-là. Notre Seigneur les proclame bienheureux et leur promet le bonheur de l’éternité. Quels sont ces pauvres d’esprit ? et que signifie cette parole mystérieuse de l’Évangile : PAUPERES SPIRITU ?
Inutile de dire qu’elle n’est pas synonyme d’ignorant et d’homme sans intelligence. Dieu est le père des lumières, le roi des intelligences, le Dieu des sciences ; la foi est une divine et magnifique lumière, surajoutée à la lumière de la raison humaine ; et jamais le manque d’esprit ou d’éducation n’a été regardé par la religion chrétienne comme une qualité ni une vertu. Pour les chrétiens, comme pour tout le monde, cela n’a jamais été considéré que comme un malheur et une chose digne de compassion.
La parole évangélique veut dire : Bienheureux les hommes qui ont le cœur détaché des biens périssables de ce monde ! Bienheureux les chrétiens que l’amour de Dieu détache intérieurement et en esprit des richesses, des honneurs et de toutes les choses qui passent ! En échange de ces faux biens, ils possèdent dès maintenant Jésus-Christ, qui est le roi du ciel, et qui les admettra dans son royaume éternel, s’ils persévèrent dans la pureté de son amour.
La pauvreté d’esprit évangélique est donc tout simplement l’esprit de pauvreté et de détachement volontaire de tout ce qui n’est pas Dieu, c’est l’esprit d’humilité, c’est la perfection de l’amour de Jésus ; et voilà pourquoi Notre-Seigneur lui promet le royaume du ciel. Tous les saints ont été en ce sens divin, des pauvres d’esprit. Quel homme a eu plus d’esprit, plus de finesse, plus de pénétration que saint François de Sales par exemple ? Toutes ses œuvres pétillent d’esprit, et les doctrines les plus relevées et les plus saintes y sont assaisonnées de si gracieuses comparaisons, d’observations si ingénieuses et si profondes, qu’en lisant ces pages charmantes, on ne peut s’empêcher de s’écrier à la fois : que saint François de Sales est donc bon et qu’il a donc d’esprit !
Et cependant saint François de Sales a été parfaitement pauvre d’esprit ; il ne tenait à rien qu’à l’amour de son Dieu et à l’accomplissement de sa sainte volonté ; il ne se recherchait en rien lui-même, donnait aux églises et aux pauvres tout ce qu’il possédait, et avait si peu de souci de lui-même qu’il était content de tout, de la maladie comme de la santé, des injures comme des honneurs, de la gêne comme du bien-être. Il donnait tout, jusqu’à ses chemises, sa vaisselle et ses meubles. Il portait des habits si usés qu’un mendiant, à qui l’on avait donné une culotte du saint évêque, crut que l’on se moquait de lui, et porta sa plainte au saint lui-même, qui ne put s’empêcher de rire à la vue de cette guenille. Saint Charles Borromée, le grand cardinal et archevêque de Milan, qui appartenait à une famille princière et avait un revenu immense, donnait également tout ce qu’il avait sans jamais compter ; il n’était dur qu’à lui-même, couchant sur une planche, ne mangeant que du pain et des pois, et ne buvant que de l’eau, n’épargnant jamais sa peine ; on compta un jour jusqu’à huit pièces sur sa robe rouge de cardinal. Ce grand homme était, lui aussi, un pauvre d’esprit .
Et saint François d’Assise, le plus aimable des saints, qui, dans sa jeunesse, était connu pour un des cavaliers les plus braves, un des jeunes hommes les plus spirituels et les plus accomplis de son temps et de son pays ! Il comprit que le ciel valait mieux que la terre, et que ce n’était , en définitive, que sagesse et simple bon sens de mépriser les bagatelles d’un moment pour acquérir les réalités éternelles ; il quitta tout, jusqu’aux vêtements qu’il tenait de son opulente famille, et, revêtant pour tout habit un sac grossier avec une corde autour des reins, pieds nus, dénué de tout, sauf de l’unique trésor nécessaire, qui est Jésus-Christ, il s’écriait, le cour rempli de joie, l’âme embrasée d’amour, les yeux baignés de larmes : Deus meus et omnia ! Mon Dieu et mon tout !
Il en est de même de tous les saints, et, proportion gardée, de tous les vrais chrétiens. Tous, si nous voulons arriver au ciel, si nous voulons être disciples de Jésus-Christ, nous devons être pauvres d’esprit, c’est-à-dire prêts à renoncer à tous les avantages de ce monde, pour le servir et pour l’amour de notre divin Maître. Ceux qui ne sont pas en cette disposition, ne sont pas des chrétiens tels que le veut l’Évangile, et le royaume du ciel n’est pas pour eux. La pauvreté d’esprit est l’abrégé sublime de la morale chrétienne.
Extrait de l’ouvrage Instructions familières et lectures du soir sur toutes les vérités de la religion, de Mgr de Ségur.
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