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Le trouble profond causé dans les âmes, au XVIè siècle, par le paganisme de la Renaissance et le protestantisme vite mué en révolte et en guerre civile, commence, dès le début du XVIIè siècle, à se dissiper ; on voit déjà paraître les premiers vestiges de la magnifique efflorescence religieuse qui glorifiera cette noble époque.

Parmi les bons ouvriers de Dieu qui travaillèrent à cet heureux résultat, avant les Vincent de Paul, les Olier, les Eudes, les Fourrier, les François Régis, avec les François de Sales, les Bérulle, les Coton, il faut mettre en bon rang la femme forte, qui, presque toute sa vie, porta, selon l’usage de son temps, le nom de Mlle Acarie et qui mourut carmélite sous celui de Marie de l’Incarnation. Son influence personnelle fut grande ; plus grande encore celle qu’’elle exerça et qui fut exercée après sa mort par les œuvres qu’’elle protégea.

Barbe Avrillot naquit à Paris, sur la paroisse Saint-Merry, le 1er février 1566, de messire Nicolas Avrillot, — maître des comptes de la Chambre de Paris, chancelier de Marguerite de Valois, sœur de Henri III — et de Marie Lhuillier. Par son père et par sa mère elle appartenait à ce monde parlementaire qui alors voisinait avec la noblesse et entretenait avec elle d’étroites relations de société et de mariage. Une belle fortune, une situation brillante n’empêchaient pas ces deux époux de pratiquer leur religion avec ferveur. Mle de Champlâtreux — Ainsi appelait-on Barbe du nom d’une terre de messire Avrillot, montra dès l’enfance des qualités naturelles, des grâces enfantines, des vertus même qui la rendirent très chère à ses parents.

Néanmoins, pour lui assurer les avantages d’une éducation plus complète et plus pieuse, ceux-ci la confièrent, à l’âge de onze ans, aux religieuses de l’abbaye de Longchamp. C’est là qu’’elle fit sa première communion ; c’est là aussi que volontiers elle se fût donnée à Dieu par la profession religieuse. Mais ses parents, craignant peut-être une pareille issue, la rappelèrent près d’eux en 1580. Elle obéit sans plainte ni hésitation, sachant déjà que le meilleur moyen de faire estimer sa piété était d’accomplir ses devoirs avec empressement et bonne grâce. Du reste elle rapporta à l’hôtel Avrillot des habitudes de simplicité, de modestie, de solitude et de recueillement que sa mère trouvait exagérées et s’efforça vainement de modifier avec une sévérité voisine de la rudesse. Et enfin, quand elle eut seize ans, on la fiança d’autorité, comme c’était l’usage alors, avec un jeune maître des comptes, instruit, riche et brillant, nommé Pierre Acarie. C’était aussi un très ardent catholique, affilié à la Ligue presque dès les débuts de celle-ci. Les deux époux s’aimèrent grandement et Dieu bénit leur amour en leur donnant six enfants.

Dès l’abord Mlle Acarie montra bien que la vraie piété aide à comprendre et à remplir tous les devoirs, loin d’entraver dans leur exercice. Elle fut épouse, mère, maîtresse de maison parfaite. Aimable et gaie, habile à attirer l’affection de tous, de sa belle-mère, près de qui elle vécut toujours, de ses enfants, de ses serviteurs, qu’’elle traitait avec simplicité et douceur, — à tel point que de sa femme de chambre, Andrée Levoix, elle se fit une amie, presque une sœur, aussi bien qu’une émule de sainteté, — elle avait encore le sens le plus droit, l’esprit le plus net et le plus perspicace, l’intelligence la plus prompte, et quand elle appliquait ces qualités aux affaires, elle faisait l’étonnement des plus habiles. On n’était pas moins surpris de voir une jeune femme élégante, rieuse, entourée d’un luxe auquel elle présidait avec une parfaite aisance, manifester en même temps des sentiments d’une dévotion si profonde et si tendre, qu’’elle la jetait souvent dans les ravissements et les extases. Elle-même resta longtemps sans comprendre la nature ni l’origine de ces faveurs célestes. Elle en était si confuse, qu’elle s’efforçait de les dissimuler de son mieux et surtout ne s’en prévalait pas à ses propres yeux pour se dispenser de ses moindres obligations. Mais son mari, sa belle-mère, inquiets de ces phénomènes mystiques, la considéraient comme une malade, s’opiniâtraient à la faire soigner. Ils ne se rassurèrent un peu que sur les témoignages d’estime que lui donnèrent de grands maîtres de la vie spirituelle, parmi lesquels il faut compter saint François de Sales lui-même.

Dieu la disposait ainsi aux épreuves et aux insignes emplois auxquels il la réservait. M. Acarie, en effet, par son zèle pour la religion, par son dévouement à la cause de la Ligue, s’était attiré-l’aversion des partisans d’Henri de Bourbon. Bien qu’on n’eût à lui reprocher aucun des excès auxquels parfois s’emportèrent certains de ses collègues du conseil des Seize, quand Henri IV fut entré à Paris, il dut céder à la haine et partir pour un exil que l’estime du roi ne put qu’adoucir. Sa fortune, alors, qu’il avait, en s’engageant imprudemment pour son parti, gravement compromise, eût été ruinée sans l’activité, l’entente aux affaires, l’amour infatigable de sa femme. Malgré les humiliations qu’elle dut dévorer, malgré les hostilités et les rudesses où elle se heurta, malgré les dangers qu’elle courut et les pénibles accidents qui compromirent irrémédiablement sa santé, elle réussit enfin à sauver en majeure partie les biens de l’exilé.

En même temps que ses démarches répétées, son malheur et bien plus encore sa vertu, sa sainteté éclatante, avaient attiré sur elle tous les regards et provoqué l’admiration. Son mari revenu, sa fortune rétablie, elle fut entourée d’une estime, d’une vénération même qui bientôt firent d’elle une conseillère sans cesse invoquée et même une directrice d’âmes très écoutée.

Le roi lui-même lui témoignait des égards pleins de respect.

M. Acarie seul, sans perdre rien de ses sentiments affectueux, mais cédant à son caractère vif, taquin, autoritaire, ne subissait pas toujours cette influence et réagissait contre elle. Il s’en rendait compte : « On dit que ma femme sera sainte un jour, plaisantait-il ; mais je l’y aurai bien aidée. » Parmi ces contrariétés, comme parmi les témoignages de confiance universels, Mlle Acarie gardait son humilité douce, sa paix sereine et joyeuse et son constant souci de s’acquitter parfaitement de tous ses devoirs.

C’est alors, la jugeant prête à ce grand rôle, que Dieu la choisit comme son instrument pour une des œuvres qui contribuèrent le plus à la sanctification de ce siècle : en 1601, la publication de la Vie de sainte Thérèse, écrite par Ribéra, excita à Paris le plus vif enthousiasme. Mlle Acarie en fut peu touchée d’abord ; mais à deux reprises elle eut une vision où sainte Thérèse lui déclara que « Dieu l’avait choisie pour fonder en France des couvents de Carmélites ». Consultés, plusieurs théologiens parmi lesquels M. de Bérulle, reconnurent la vérité de cette apparition ; et force fut à la pieuse femme d’entreprendre une fondation où elle ne voyait que peines et difficultés, presque invincibles. Elle s’y employa, comme elle faisait toutes choses, avec un entier dévouement, mais sans sacrifier aucun de ses devoirs familiers. Enfin, après trois ans d’efforts, invinciblement soutenus, le 18 novembre 1604, elle recevait, dans la maison qu’elle leur avait préparée rue Saint-Jacques, six carmélites espagnoles, conduites par la Mère Anne de Jésus, une des compagnes de sainte Thérèse ; elle leur remettait plusieurs novices, — parmi lesquelles Andrée Levoix, — qu’elle avait elle-même formées à la vie religieuse ; elle continuait ensuite à se dépenser à leur service, jusqu’au jour où, les voyant établies, elle se retira doucement avec une exquise discrétion. Comme don dernier, elle leur laissait ses trois filles.

Elle-même aspirait à les rejoindre : sainte Thérèse lui avait promis cette récompense. Elle ne put cependant la recevoir que neuf ans après, M. Acarie étant mort. En attendant elle avait contribué à fonder encore les carmels de Pontoise, d’Amiens, de Tours, de Rouen, et, avec MMe de Sainte-Beuve, la congrégation des Ursulines pour l’éducation des jeunes filles ; elle avait encouragé et aidé M. de Bérulle dans l’établissement de l’Oratoire de France. Libre enfin par son veuvage, à quarante-sept ans elle vint se jeter aux pieds de la prieure de Paris, la suppliant humblement de la recevoir en qualité de sœur converse. On se récria devant cette humilité : rien ne put la vaincre. « Je suis venue, disait-elle, pour être la dernière et la plus pauvre, comme je suis la plus imparfaite et la plus inutile. » Il fallut se rendre. Pénétrée de reconnaissance, comme si elle n’eût eu aucun titre à cette faveur, elle se hâta de se rendre à Amiens, qui avait été choisi comme lieu de sa résidence.

Elle y arriva le 16 février 1614 et prit, en recevant l’habit, le nom de Marie de l’Incarnation. Le 8 avril 1615, elle faisait profession, malade au point qu’on dut la transporter dans son lit jusqu’auprès de la chapelle. À la fin de 1616, elle fut appelée à Pontoise : on espérait que son habileté et ses relations relèveraient la triste situation pécuniaire du couvent. Ce fut en effet le dernier service qu’’elle rendit au Carmel. Quand elle eut éteint les dettes, construit les bâtiments, assuré la vie, elle tomba malade le 7 février 1618. Pendant deux mois elle souffrit cruellement, le voulant, mais le sentant avec force : « Je ne sais comment, disait-elle, Dieu a conjoint en moi deux choses si différentes : le désir de souffrir et la peine que la nature reçoit en souffrant ; je ne puis comprendre cela et cependant cela est en moi. » Ainsi continuait-elle à montrer la candeur et la simplicité de son âme. Dieu n’avait cessé de la combler de ses grâces extraordinaires, qui faisaient l’étonnement et l’admiration de ses sœurs. Elle les dissimulait pourtant de son mieux : « Ah! mon Dieu, s’écriait-elle, vous donnez tant, qu’il n’y a pas moyen de cacher vos dons ; cachez-les donc vous-même ! »

Enfin, après ces longs jours d’agonie, où elle fut sans cesse un merveilleux exemple de profond mépris d’elle-même, de patience, de charité humble et prévenante, le mercredi de Pâques 1618, vers 6 heures du soir, l’âme de la sœur Marie de l’Incarnation prit doucement son vol vers le ciel. Elle avait cinquante-deux ans et deux mois de vie, trois-ans et dix jours de profession religieuse.

Ouvrage : Saints et Saintes de Dieu, Imprimatur 30 Décembre 1924

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