Ecrit de L’Abbé Berhoumieu – 1873
Par ses sons gais la cloche sainte Hier fêtait nos divins patrons ; Aujourd’hui voilà qu’elle tinte : Prions pour les morts et pleurons. Ils ont tous l’oreille attentive Pour ouïr nos lointains saluts ; Sonnez, sonnez cloches plaintives, Sonnez pour ceux qui ne sont plus. L. AUDIAT
Tout est triste dans la nature, les arbres sont dépouillés de leur feuillage, le ciel s’est assombri. Novembre n’a pas encore compté sa première journée, et voilà que la religion à son tour prend ses habits de deuil ; les cloches font entendre des tintements lugubres qui se prolongent bien avant dans la nuit, et recommencent avant que l’aube ait paru.
C’est la voix des trépassés qui demandent que les vivants prient pour eux.
Pour l’imagination sensible du peuple des campagnes, en ce jour, le vent dans les bois ne souffle plus comme à l’ordinaire, il est plein des soupirs de ceux qui sont morts ; et ces grands arbres dépouillés de leurs feuilles, que les brouillards enveloppent comme d’un linceul, ne ressemblent-ils pas à des trépassés en prière ?
On l’a dit justement : «Le jour des trépassés est une des fêtes que le peuple comprend le mieux. Dans nos églises, autour du catafalque, dans les cimetières, parmi les monuments somptueux et les fossés où poussent les longues herbes et les mauves bleues, on le voit prier avec une tristesse mêlée d’espérance… Et comment l’espérance ne descendrait-elle pas dans nos cœurs quand nous demandons la paix et le repos pour nos proches, pour nos amis passés de vie à trépas ?»
Le culte que les chrétiens ont toujours professé pour les morts est fondé sur ce dogme de foi, «qu’il y a un Purgatoire après cette vie, que les âmes qui y souffrent peuvent être soulagées par les suffrages, c’est-à-dire par les prières et les bonnes œuvres des vivants et surtout par le Saint-Sacrifice de la messe.»
Cette croyance et ce culte ont existé dans tous les temps et chez tous les peuples.
Pour mieux témoigner leur foi en la résurrection des morts, les premiers chrétiens avaient grand soin des sépultures et y faisaient de grandes dépenses selon leurs facultés.
Les corps n’étaient pas brûlés, comme chez les Grecs et les Romains, mais on les enterrait. Après avoir lavé le corps du défunt, on l’embaumait, on l’enveloppait de linges très fins, ou bien on le revêtait de ses plus beaux habits. Le corps était ainsi exposé pendant trois jours, au milieu des cierges ardents et des larmes de la famille ; il était enfin porté au tombeau, accompagné des prêtres en vêtements de deuil.
Dans les premiers siècles, le lieu où reposaient les reliques des saints martyrs était celui qu’on choisissait de préférence pour se faire enterrer. C’est ce qui a attiré tant de sépultures dans les églises ; toutefois, les sépultures vulgaires se faisaient dans une terre consacrée à cet effet, et ce fut pour répondre autant que possible aux pieux désirs des fidèles qu’on plaça les cimetières à l’entour des églises. D’un autre côté, on trouvait bien qu’avant d’entrer dans la maison de Dieu les fidèles aient sous les yeux un objet capable de leur rappeler la brièveté de la vie, les espérances d’un avenir plus heureux et un tendre souvenir de leurs proches. Mais les idées modernes relèguent chaque jour ces sépultures entre quatre murs isolés des vivants ; ces idées, comme celles qui ont établi les dépôts de mendicité, sont filles de la philosophie et de l’égoïsme.
Dans les temps de foi, la mort n’avait plus pour les hommes cette horreur qu’elle exerça pendant toute l’antiquité. La Religion, qui transforme tout ce qu’elle touche, avait ennobli la mort même, en la considérant comme un passage de cette vie de misère à la vie du Ciel. La mort, parée comme une fiancée, et comme une sœur ou une amie, se présentait aux regards du peuple dans les églises, dans les rues, dans les cimetières. Les images se multipliaient dans les monuments funèbres, dans les verrières, dans les fresques des églises.
Lorsque de grandes calamités vinrent fondre sur les peuples , le sentiment de la mort s’exalta, et l’on ne se borna pas à représenter seule la terrible déesse, mais on la montra s’attaquant successivement à toutes les classes de la société, entraînant avec elle dans son branle terrible des individus de tout âge et de toute condition.
Le chrétien, porté au lieu de son sommeil, ne cessait pas de vivre dans l’assemblée des vivants, mais on renouvelait sa mémoire le troisième, le septième, le neuvième, le trentième ou quarantième jour, ainsi qu’au bout de l’an ; souvent même on continuait d’années en années.
Un savant liturgiste, Durand de Mende, nous a donné les raisons mystiques et symboliques de ces jours de prières plus solennelles.
«On remarque, dit-il, que certains font mémoire pour les défunts pendant trois jours pour représenter les trois jours de la sépulture du Sauveur, ou bien parce que les hommes ont péché pendant leur vie de trois manières : par pensées, par paroles et par actions.
D’autres célèbrent la messe pendant sept jours, afin que le défunt puisse arriver au sabbat de l’éternel repos.
D’autres font la novendinale, c’est-à-dire un office de neuf jours, afin que les âmes des morts délivrées de leurs péchés soient associés aux neuf ordres des anges.
D’autres célèbrent le trentième jour, premièrement parce que les enfants d’Israël pleurèrent Moïse et Aaron pendant autant de jours ; secondement parce que trois fois dix font trente. Par le nombre trois nous entendons la Trinité, et parle nombre dix les préceptes du Décalogue ; nous observons donc pour les morts un office de trois dizaines de jours, afin que les fautes qu’ils ont commises contre le Décalogue leur soient pardonnées par la Sainte Trinité. »
Ceux qui observent quarante jours d’office imitent les enfants de Jacob, qui pleurèrent sa mort pendant quarante jours.
Certains font l’anniversaire pour trois raisons :
- afin que les défunts passent des années de malheur aux années de la vie éternelle, qui semblable à l’année, tourne sur elle-même ;
- parce que de même que nous célébrons l’anniversaire des saints pour leur honneur, nous célébrons celui des défunts pour leur utilité.
L’imagination féconde de nos pères avait mille moyens de rappeler le souvenir de leurs morts.
On voit encore dans certains cimetières des édicules nommés fanaux, lampiers ou lanternes des morts, ayant la forme d’une tourelle, ou d’un pilier de pierre dont les ouvertures regardaient les quatre points cardinaux. Ce fanal, allumé pendant la nuit, était une sorte d’hommage rendu à la mémoire des morts, un signal rappelant aux passants la présence des trépassés et réclamant leurs prières pour eux.
Cet appel à la prière était renouvelé encore sous une autre forme : À Paris et dans nos grandes villes de province, on avait établi à cet effet un membre de la Confrérie des Pénitents, appelé le Clocheteur des trépassés. Cet homme parcourait les rues de la ville à une certaine heure de la nuit, en agitant une clochette et criant par intervalles :
«Réveillez- vous, gens qui dormez ; Priez Dieu pour les trépassés.»
Réveillé par cette lugubre invitation, le bourgeois se mettait à genoux sur son lit et murmurait une prière pour le repos des morts. Cette coutume existait encore à Paris au commencement du siècle dernier et n’a cessé ailleurs qu’au moment de la Révolution.
Dans certaines provinces, non-seulement les parents des défunts revêtaient des habits de deuil, mais les animaux domestiques eux-mêmes étaient associés à la douleur de la famille : on jetait un crêpe noir sur les ruches d’abeilles ; ailleurs, on coupait toutes les fleurs qui se trouvaient dans le jardin, et on n’en laissait épanouir aucune tant que durait le deuil.
Dans plusieurs provinces, notamment certaines localités de Flandre et d’Artois, l’usage est que toute l’assistance revienne, après les enterrements, à la maison mortuaire, où se récite le De Profundis pour le repos de l’âme de la personne décédée ; cette même prière termine le repas qui suit immédiatement les funérailles.
Dans ces mêmes provinces, les décès sont indiqués à la porte des maisons ainsi qu’il suit : Dans plusieurs lieux par une croix de paille ; ailleurs par un crucifix placé sur une table recouverte d’un linge blanc ; dans d’autres communes par de grandes croix en bois ornées d’attributs funéraires, ou des bottes de paille superposées. Ces signes sont indépendants de la fermeture générale de la maison donnant sur la rue, des tentures de deuil et de l’usage de couvrir toutes les glaces ainsi que les tableaux qui décorent les appartements.
Dans certaines contrées de l’Ouest, le jour des Morts c’est l’usage de souper en famille ; on y parle des parents défunts, et les convives ne se séparent qu’après avoir récité des prières pour leur délivrance.
Pourquoi faut-il que ces touchants usages disparaissent ? Aujourd’hui, l’égoïsme dessèche tous les cœurs, c’est l’égoïsme qui fait oublier les morts, l’égoïsme tue la famille et bouleverse la société.
Fais de moi comme une empreinte sur ton cœur, comme une empreinte sur ton bras, car l’amour est aussi fort que la mort, la passion est aussi inflexible que le séjour des morts.u003cbru003eSes ardeurs sont des ardeurs de feu, une flamme de l’Eternel.