Saint Nicolas, en haute mer Erié, Au port, hélas ! est souvent oublié.
Nul saint de Dieu n’est aussi populaire que l’évêque de Myre ; mais le puissant artisan de miracles, le protecteur et l’ami des enfants a trop fait oublier en lui le pasteur éminent du peuple de Dieu, le défenseur de la foi, l’ardent adversaire du paganisme. Car il fut tout cela, et il est juste de rappeler tous ces mérites ; ils ont fait sa sainteté, que l’abondance des prodiges ont seulement auréolée. Malheureusement, si la légende a beaucoup amplifié le nombre de ceux-ci, — mais il en reste assez que l’on doit admettre, pour consacrer son surnom de Thaumaturge, — les documents à qui l’on puisse se fier sont trop avares de détails circonstanciés sur les événements de sa vie.
Saint Nicolas naquit d’une famille noble, riche et surtout chrétienne de la ville de Patare, en Lycie. On a raconté que, par une inspiration divine, dès sa naissance, il observait les jours de pénitence de l’Église grecque : le mercredi et le vendredi, il ne prenait le sein maternel qu’une fois, et seulement à l’heure où il était permis de rompre le jeûne ; il aurait ainsi donné déjà l’exemple d’une abstinence à laquelle il fut toujours fidèle. Il semble qu’il dut à saint Méthodias, l’évêque illustre de Patare, son initiation aux lettres et particulièrement à l’Écriture sainte. « Il fut instruit, dit son plus sûr biographe, ou mieux, illuminé par les didascalies (les enseignements) de l’Église. » Et à cette école il acquit les fortes connaissances sur lesquelles fut basée son incorruptible orthodoxie. Orphelin de bonne heure, possesseur d’une grande fortune, il résolut de remployer en bonnes œuvres. L’une d’elles est demeurée célèbre : un de ses concitoyens pauvre désespérait de marier ses trois filles, ne pouvant leur donner une dot ; et il avait conçu le détestable dessein de trafiquer de leur beauté, Nicolas le sut ; il fut ému du danger que couraient ces malheureuses ; voulant les secourir et en même temps demeurer ignoré, il profita de la nuit pour aller secrètement, à trois reprises, jeter par la fenêtre la somme nécessaire à assurer à chacune des jeunes filles un mariage honorable. La troisième fois, le père aux aguets surprit le mystérieux bienfaiteur, et, malgré la promesse de silence que lui arracha Nicolas, le fait fut bientôt divulgué à l’honneur du saint jeune homme.
Fut-il dès cette époque initié aux ordres sacrés ? on l’ignore. Mais vers les premières années du IVe siècle, semble-t-il, il arriva que l’archevêque de Myre, ville située à quelque distance de Patare et métropole de la Lycie, vint à mourir. Les évêques de la contrée, qui devaient présenter au peuple son successeur, étaient indécis sur le choix d’un candidat : les temps étaient mauvais, la persécution, qui sévissait sourdement, allait éclater bientôt ; il fallait sur le siège épiscopal un homme bon et ferme, vaillant et discret. A la prière que les évêques lui adressaient, Dieu répondit : dans une vision nocturne, il leur fit savoir : « Celui qui demain le premier entrera dans l’église et portera le nom de Nicolas, celui-là est mon élu. » Le lendemain, au point du jour, Nicolas, qui par hasard se trouvait à Myre, se présenta le premier. On lui demande son nom, on l’apprend, on le fait acclamer par les fidèles accourus à l’église. Le jeune homme, malgré sa résistance, est forcé de courber la tête et de recevoir l’onction sacrée.
Peu après, l’édit de Dioclétien, inspiré par Galère, ordonnait de détruire les églises et de brûler les livres saints. Puis trois autres suivaient : deux proscrivant les évêques et les prêtres, le dernier étendant la condamnation à tous les chrétiens. Comment l’évêque de Myre échappa-t-il au glaive ? La persécution fut terrible autant que longue, et la Lycie ne fut pas épargnée.
Même après l’accalmie amenée par la mort de Galère, en 311, une requête de l’assemblée provinciale demandait à l’empereur Licinius, fort empressé de se rendre à de tels vœux, que « les chrétiens atteints de leur ancienne folie et qui continuent jusqu’à présent la même maladie, cessent de le faire et ne transgressent pas par une funeste adoration celle qui est due aux dieux ». On croit que saint Nicolas fut lui-même poursuivi sous Dioclétien, battu de verges et, après une courageuse confession, jeté dans une prison où sans doute il fut oublié. La paix enfin rendue au christianisme par Constantin, l’évêque — ceci est plus certain, — consacra tous ses soins à relever les ruines. Les plus sûrs documents parlent de son zèle à instruire son peuple, à rebâtir les églises, à lutter vigoureusement contre le paganisme frappé à mort, mais encore puissant surtout dans les provinces, à préserver les fidèles des hérésies naissantes : l’arianisme, qui faisait du Verbe une créature, le sabellianisme, qui confondait les trois personnes de la sainte Trinité. Il est hors de doute que saint Nicolas siégea au concile de Nicée, vengeur de la foi chrétienne contre Arius, et que son orthodoxie s’y déclara sans hésitation.
Mais en même temps qu’apôtre de la doctrine, il se montrait défenseur de l’innocence et bienfaiteur de la misère. La Lycie, pays pauvre et dépendant de l’Egypte pour le blé qui lui était nécessaire, lui dut plus d’une fois, fût-ce par un miracle, le pain dont elle était privée. Un jour, entre autres, la flotte de Vannone, qui portait à Constantinople le froment d’Alexandrie, est jetée par la tempête sur les côtes de Myre affamée. Nicolas obtient par ses prières que de chaque vaisseau on prélève cent mesures de grain pour ses malheureux diocésains : et il se trouve qu’en arrivant à destination, les capitaines constatent que leur cargaison n’en a pas diminué.
Une autre fois, l’évêque apprend que le gouverneur de la province, Eustathios, vient de condamner à mort trois jeunes gens innocents. Il était alors en compagnie de trois stratilales — officiers supérieurs, — en mission en Phrygie et qui étaient venus le saluer ; il accourt avec eux sur la place où déjà les condamnés attendaient le coup de mort, arrache au bourreau son glaive, adresse au gouverneur des reproches mérités qui lui font reconnaître sa faute, et obtient enfin la liberté de ses heureux protégés.
Or peu après, cet acte de bienfaisante audace devint l’occasion du miracle le plus populaire du Saint. Les trois stratilates, qui en avaient été témoins, revenus de leur mission à Constantinople, furent, eux aussi, victimes de la calomnie : accusés faussement d’un complot contre la vie de l’empereur Constantin par le préfet du prétoire Allavias, la peine capitale fut, sans jugement, prononcée contre eux. Ils se souvinrent alors du bon évêque de Myre et, en attendant leur supplice, l’invoquèrent avec instances. Et voilà que dans la même nuit Nicolas apparut à l’empereur et au préfet ; il leur enjoignit, sous la menace de terribles châtiments, de rendre justice aux condamnés. Ce fut fait, et l’empereur envoya les trois officiers chargés de présents vers Nicolas, lui disant : « Voici, j’ai accompli votre ordre, ne me faites plus de menaces ; mais priez pour moi et pour mon empire. » De cette apparition est venu l’usage de représenter saint Nicolas près d’une tour où sont enfermés trois prisonniers. Mais peu à peu la tour s’est découronnée, est devenue un baquet ; les trois officiers se sont métamorphosés en enfants, et la légende s’est établie de la triple résurrection qui a mérité au saint évêque l’universelle sympathie et le titre de patron de l’enfance.
La légende du reste a eu beau dénaturer, amplifier, multiplier les miracles dus au pouvoir ou à l’intercession de saint Nicolas ; il en reste beaucoup de bien avérés qui établissent qu’incontestablement il fut un puissant thaumaturge. De son vivant, il était célèbre par la protection qu’il accordait aux navigateurs en péril. On le vit même apparaître sur un vaisseau ballotté par la tempête, saisir le gouvernail et commander la manœuvre salutaire. Bien plus, lorsque les matelots, arrivés au port, Vinrent le remercier, pénétrant d’un œil sûr jusqu’au fond de leur conscience, il les avertit de leurs péchés et les exhorta à la pénitence.
Mais lorsque l’évêque de Myre eut rendu sa sainte âme à Dieu, probablement en 341, lorsque surtout ses vénérables reliques eurent été transportées à Bari, dans les Pouilles, en 1087, les miracles abondèrent sur sa tombe. De son corps, dès son ensevelissement et jusqu’à ces temps, découle une liqueur embaumée, une myrrhe précieuse qui rend la santé. C’est peut-être cependant aux prisonniers et aux marins battus par la tempête que saint Nicolas se montre particulièrement favorable. On se souvient que c’est à lui que Joinville, près de naufrager non loin de Chypre, conseillait à la reine Marguerite de faire un vœu, et qu’il attribue le salut du roi et de sa suite. La Lorraine garde mémoire du sire de Réchicourt, prisonnier des Sarrasins au XIIIe siècle et rapporté miraculeusement en France, ses chaînes encore aux pieds et aux mains, par saint Nicolas, qu’il avait invoqué. Mais, disait déjà saint Jean Damascène avec une éloquente emphase, « ni le sable du rivage, ni les flots de l’Océan, ni les gouttelettes de rosée, ni les globules de neige, ni le chœur des astres, ni les pluies qui tombent des nuages, ou les ondes des fleuves, ou l’eau des sources ne peuvent, ô Père, être comparés à vos miracles. »
Éduque l’enfant d’après la voie qu’il doit suivre ! Même quand il sera vieux, il ne s’en écartera pas.