Ambroise vint au monde vers l’an 340, dans les Gaules, où son père, du même nom que lui, était alors préfet du prétoire.
Sa mère, après la mort de son mari, qu’elle perdit peu de temps après la naissance de cet enfant, alla demeurer à Rome, où elle lui fit faire de bonnes études sous d’habiles maîtres, qui prenaient un grand soin de cultiver son esprit, pendant qu’elle veillait sur ses mœurs.
Ayant fait beaucoup de progrès dans l’éloquence, il se mit dans le barreau , et plaida quelque temps dans l’auditoire de Probus, préfet du prétoire d’Italie. Ce préfet, charmé des belles qualités et de l’éloquence d’Ambroise, le fit son successeur, et bientôt après, avec l’agrément de l’empereur Valentinien 1er, il l’établit gouverneur de la Ligurie, et lui dit en l’envoyant dans la province : « Allez, agissez non en juge, mais en évêque. » Milan était la capitale de ce gouvernement, et le séjour assez ordinaire des empereurs en Occident. Fidèle à ce conseil, Ambroise se fit admirer par sa douceur, sa vigilance et sa probité.
Il y avait depuis vingt ans dans cette ville un évêque arien nommé Auxence qui mourut en 804. Les évêques assemblés à Milan pour lui donner un successeur se trouvèrent dans un grand embarras : car les orthodoxes d’un côté, et les ariens de l’autre, voulaient chacun un évêque de leur sentiment. Comme on était près d’en venir aux mains, Ambroise, qui par sa charge devait veiller à la tranquillité publique, alla à l’église, et parla au peuple pour le portier à faire l’élection sans tumulte. Il parlait encore, lorsque tous, catholiques et ariens, s’écrièrent d’une voix : Ambroise évêque ! On dit que ce fut un enfant qui cria le premier, trois fois, Ambroise évêque ! et que le peuple répéta avec joie, Ambroise évêque ! Ce qui est certain, c’est que tous les esprits se trouvèrent réunis comme par un miracle, et s’accordèrent à le demander pour évêque.|
Ce choix avait d’abord surpris tout le monde, Ambroise encore plus que les autres : il ne se croyait pas même digne du rang de simple fidèle dans l’Église, n’étant encore que catéchumène. Il différait de se faire baptiser, parce qu’il appréhendait beaucoup de perdre l’innocence du baptême. Il allégua toutes sortes de raisons pour porter le peuple à changer de résolution. Voyant que, malgré ses remontrances, on persistait à vouloir qu’il fût évêque, il sortit de la ville pendant la nuit pour se retirer à Pavie ; mais Dieu permit qu’après avoir bien marché, il s’égarât et se trouvât le lendemain matin à une porte de Milan. Le peuple lui donna alors des gardes pour l’empêcher de s’échapper de nouveau. On envoya à l’empereur Valentinien une relation de tout ce qui s’était passé, et on le pria de donner son consentement à l’élection d’Ambroise : cette formalité était nécessaire, parce que l’élu était un de ses officiers. L’empereur, qui était alors à Trêves, répondit qu’il voyait avec plaisir qu’on eût jugé digne de l’épiscopat un de ceux qu’il avait choisis pour gouverneurs et pour juges. Ambroise s’enfuit encore, et alla se cacher dans la maison d’un sénateur de ses intimes amis ; mais le vicaire du gouverneur ayant publié un ordre sévère contre ceux qui le cacheraient, il fut obligé de paraître, et, bien qu’il ft valoir l’autorité des saints canons, qui ne voulaient pas qu’on élevât au sacerdoce un simple catéchumène, il fut contraint de céder. Après avoir reçu le baptême et successivement les saints ordres. il fut sacré évêque le 7 décembre 374, à l’âge de trente-quatre ans.
Depuis son ordination jusqu’à sa mort, il vécut dans une abstinence extraordinaire. Quoiqu’il travaillât beaucoup, il jeûnait presque continuellement, ne dînait que le samedi, le dimanche et les jours de fêtes des plus célèbres martyrs. Il invitait quelquefois à sa table les grands de l’empire, mais il n’allait jamais manger hors de chez lui, quelque prière qu’on lui en fit. Il en rapporte la raison dans son Traité des Offices. « Les festins, dit-il, occupent et amusent trop ; ils inspirent l’amour de la bonne chère, et obligent d’entendre des discours qui ne roulent le plus souvent que sur les plaisirs et les maximes du monde. On ne peut pas s’en défendre : il faut les écouter malgré soi, ou l’on passe pour être trop rigide et trop sévère. On s’y laisse insensiblement aller à boire comme les autres, quoique d’abord avec répugnance. Il vaut mieux demeurer chez soi, et s’en excuser une fois pour toutes , que de s’y engager mal à propos ; mais si l’on y va. il faut quitter la table après avoir mangé sobrement, pour n’être pas complice de l’intempérance des autres. » Il avait encore pour maxime de ne procurer à personne aucune charge à la cour, pour n’être pas responsable des suites. Son assiduité à la prière était si grande, que, sans parler de l’église, où il ne manquait jamais, il y employait encore la meilleure partie de la nuit. Les bornes dans lesquelles nous devons nous resserrer ne permettent pas d’entrer dans le détail de tout ce qu’a fait et de tout ce qu’a soufferts. Ambroise dans l’exercice de son ministère ; contentons-nous de rapporter un trait éclatant de sa fermeté pour la discipline de l’Église. L’empereur Théodose avait d’excellentes qualités ; mais il se laissait aisément emporter contre ceux qui l’avaient offensé. La ville de Thessalonique eut le malheur d’encourir sa disgrâce pour une sédition excitée contre son gouverneur. Ambroise et les autres évêques avaient intercédé pour ces séditieux, qui reconnaissaient leur faute. et ils avaient fait promettre à l’empereur qu’il leur pardonnerait. Néanmoins, pressé par les instances des principaux officiers de sa Cour, qui lui représentaient qu’il était d’une dangereuse conséquence de laisser ces violences impunies, il prit la résolution d’en tire rune vengeance éclatante avant que l’évêque de Milan sût rien de son dessein. Sept mille personnes périrent dans le massacre qu’on fil dans cette ville.
On fut étrangement surpris à Milan d’apprendre cette triste nouvelle. Quand Ambroise sut que Théodose revenait, il sortit pour lui donner le temps de réfléchir sur cette cruelle expédition. Il jugea même à propos de lui écrire pour le reprendre fortement de son crime, et l’exhorter à en faire pénitence, afin de pouvoir être admis aux saints mystères comme auparavant. On lisait entre autres choses dans cette lettre : « Si le prêtre, dit Ézéchiel, n’avertit pas le pécheur, celui-ci mourra dans son péché, et le prêtre sera coupable de ne l’avoir pas averti. Le péché ne s’efface que par les larmes, et le Seigneur ne pardonne qu’à ceux qui font pénitence. » il finit par ces paroles : « Je vous aime, je vous chéris, je prie pour vous. Si vous le croyez, rendez-vous à mes conseils, et reconnaissez la vérité de mes paroles ; si vous ne le croyez pas, ne trouvez pas mauvais que je donne à Dieu la préférence. »
Peu de temps après, le saint prélat ayant su que l’empereur venait à l’église, alla au-devant de lui et lui en refusa l’entrée, en lui disant : « Il semble, seigneur, que vous ne comprenez pas encore toute l’énormité de votre crime. Peut-être que la grandeur de votre dignité vous éblouit, et vous empêche de connaître vos faiblesses en aveuglant votre raison. Sachez que vous êtes homme comme les autres; ne vous laissez pas éblouir par la pourpre qui vous couvre. Comment donc entreprenez-vous d’entrer dans le temple du Seigneur ? Oseriez-vous étendre vos mains encore teintes du sang innocent que vous avez répandu, pour recevoir le corps sacré de Jésus-Christ ? Oseriez-vous recevoir son sang adorable dans celle bouche qui a commandé un aussi grand massacre ? Retirez-vous, prince, et n’ajoutez pas un nouveau crime à celui que vous avez déjà commis. » Théodose, touché de ce discours, resta quelque temps les yeux baissés sans rien dire ; après quoi il répondit d’un ton modeste, qu’il reconnaissait combien il était coupable ; mais qu’il espérait que Dieu, qui avait pardonné à David, aurait aussi égard à sa faiblesse. « Puisque vous l’avez imité dans son péché, repartit Ambroise, imitez-le donc aussi dans sa pénitence. » Théodose se soumit et accepta la pénitence canonique qui lui fut imposée ; puis, les larmes aux yeux, il se retira dans son palais : il resta huit mois entiers éloigné des sacrements, et vivant dans les exercices propres aux pénitents publics. Le jour de Noël, il pleura encore plus amèrement, en pensant qu’il était exclu de l’assemblée des fidèles. Rufin, un de ses officiers, l’ayant trouvé dans cette affliction lui en demanda la cause. L’empereur lu répondit : « Je pleure et je gémis en considérant que le temple de Dieu est ouvert au dernier de mes sujets, tandis qu’il est fermé pour moi. » Rufin, plus habile courtisan que bon chrétien, tacha de consoler son maître par des raisons humaines et politiques, et d’affaiblir le repentir d’une faute à laquelle il avait eu une grande part.
Ne voyant pas d’apparence de pouvoir ôter de l’esprit de l’empereur la crainte religieuse que les remontrances d’Ambroise y avaient fait naître, Rufin lui proposa d’aller de sa part trouver l’évêque, ajoutant qu’il espérait lui persuader de l’absoudre. « Vous ne réussirez pas, dit Théodose ; je connais la justice de son jugement, et toute la puissance impériale ne lui fera rien faire contre la loi de Dieu. » Néanmoins Théodose céda aux instances de Rufin, et se décida même à le suivre. Dés que l’évêque aperçut le courtisan, il lui dit qu’il n’était pas propre à être le médiateur de l’absolution d’un crime dont il était un des premiers auteurs, et qu’il ne devait penser à cette affaire que pour pleurer les mauvais conseils qu’il avait donnés à son maître, Rufin fut insensible à ces reproches ; il fit tous ses efforts pour toucher le prélat, et l’avertit enfin que l’empereur venait à l’église. Ambroise, sans s’étonner, lui dit : « Je vous déclare que je l’empêcherai bien d’y entrer. S’il veut employer la force et agir en tyran, Je suis prêt à souffrir la mort. » Rufin donna aussitôt avis à Théodose de cette résolution de l’évêque, et lui conseilla de rentrer dans son palais ; mais comme ce prince était déjà au milieu de la place, il ne jugea pas à propos de s’en retourner. « J’irai, dit-il, et je recevrai l’affront que je mérite. » L’empereur, étant arrivé à l’église, n’y entra pas : il attendit l’évêque dans la salle d’audience et le pria de lui accorder l’absolution. Il lui dit : « Je vous prie de me délivrer des liens de l’excommunication et de ne pas me fermer la porte du salut, que le Seigneur a ouverte à ceux qui font pénitence. Quelle pénitence avez-vous donc faite ? demanda Ambroise. — C’est à vous, dit Théodose, à me prescrire ce que je dois faire ; je viens à vous comme au médecin de mon âme. » L’évêque le condamna à une pénitence publique. L’empereur s’y soumit, et alors Ambroise leva l’excommunication, et lui permit d’entrer dans l’église. Ce prince ne fit pas sa prière debout, ni à genoux, comme les autres fidèles ; mais ayant ôté ses ornements impériaux, qu’il ne reprit point pendant tout Le temps de sa pénitence, il se prosterna sur le pavé, répétant ces paroles de David : Ma bouche est collée à la terre ; rendez-moi la vie selon vos promesses. Il resta pendant le service divin en cette posture humiliante, arrosant le pavé de ses larmes et demandant à Dieu miséricorde.
S. Ambroise mourut le samedi 4 avril de l’an 397. Il avait été évêque vingt-un ans et quatre mois, et avait vécu cinquante-sept ans. Dieu fit connaître sa sainteté, avant et après sa mort, par plusieurs miracles qui sont rapportés par des témoins oculaires.
PRATIQUE
Tous les siècles ont admiré la fermeté de Saint Ambroise. Cette vertu si nécessaire aux pasteurs pour le maintien des lois de l’Église, ne l’est pas moins aux simples fidèles pour résister aux attaques que les enfants du siècle ne cessent de livrer aux vertus chrétiennes.
PRIÈRE
Seigneur, qui, pour nous apprendre que la fermeté est une vertu indispensable dans un chrétien, avez institué un sacrement pour nous la donner, faites que nous montrions dans toutes les circonstances que vos disciples sont prêts à tout souffrir pour vous, et qu’ils n’ont d’autre crainte que celle de vous déplaire.