Bernard, l’une des plus grandes figures du moyen âge,vint au monde, l’an 1091, au château de Fontaine, près de Dijon.
Son père, Tescelin, descendait des comtes de Châtillon, et sa mère, Aleth, des comtes de Champagne. La noble dame le consacra, dès le berceau, non seulement à Dieu mais à l’Église, l’éleva pieusement, dans l’espoir de le donner au Seigneur, et lui inspira de bonne heure un grand mépris pour le siècle. Voué à l’étude des belles-lettres, Bernard fit d’étonnants progrès ; mais sa piété l’emportait encore sur ses rares talents : il aimait la retraite, il était méditatif, il parlait peu. Distingué entre tous et beau comme un ange, il fut exposé dans sa jeunesse à deux grands périls : aux séductions de l’esprit et à celles de la chair. Il en triompha par le secours de sa mère et la dévotion à la sainte Vierge : le seul nom de Marie le faisait tressaillir. Aussi fut-il humble comme une fleur cachée, pur comme un rayon du jour. Une nuit de Noël, l’Enfant Jésus lui apparut dans son sommeil. Cette vision l’enflamma d’amour, tant il fut épris de sa ravissante beauté.
Bernard avait perdu depuis trois ans sa pieuse mère, lorsqu’il résolut de mettre son innocence à l’abri du cloître. Cîteaux lui parut l’asile propre à son dessein. Personne n’osait en embrasser la réforme austère, introduite depuis une douzaine d’années par le bienheureux Robert, abbé de Molesmes. Il n’en fut point effrayé, et il n’y vint pas seul : il entraîna trente jeunes nobles à sa suite, parmi lesquels se trouvaient cinq de ses frères. Guy, l’aîné, dit au plus jeune, au moment des adieux : « Nous te laissons tout notre bien. » — « Oui, » s’écria l’enfant, « vous prenez le ciel et vous me laissez la terre : le partage n’est pas égal. » Dans la suite, ce dernier quitta tout, lui aussi,pour aller avec son père se joindre à eux. Saint Étienne, alors abbé de Cîteaux, reçut cette vaillante colonie avec des transports de joie secrète. Bernard avait 22 ans. Dès l’abord, sa ferveur surpasse la perfection des plus saints religieux ; il déclare une guerre impitoyable à son corps et à tous ses sens ; il pousse les rigueurs de ses austérités jusqu’à compromettre sa santé trop délicate. La prière a pour lui des charmes indicibles ; Dieu se communique intimement à son âme, et les délices qui l’inondent ne manqueront jamais plus à ce cœur favorisé de Jésus et de l’auguste Reine des anges.
Par leur exemple, Bernard et ses compagnons attirèrent un monde à Cîteaux. On fonda deux couvents, à la Ferté en Bourgogne et à Pontigny ; il fallut en créer deux autres, à Clairvaux et à Morimond. Bernard fut envoyé à Clairvaux avec douze des siens. C’était un affreux désert, au sein d’une vaste forêt, qui servait de retraite aux brigands. Ils se mirent à défricher cette terre sauvage, bâtirent un oratoire et des huttes en bois, et firent de ce lieu un des plus illustres de l’univers ; il devint une école florissante, un séminaire de saints ; et les papes et les rois, et les évêques et les princes, y accoururent à l’envi près d’un pauvre moine, devenu la merveille de son siècle. La gloire de cette maison surpassa celle de Cîteaux : elle fonda des monastères dans presque toutes les contrées, et, du vivant de saint Bernard, elle en compta jusqu’à 168. Il y en eut pour les religieuses, et l’unique sœur de notre saint alla y vivre, elle aussi, de la vie de ses frères.
Jusqu’ici Bernard avait été un saint moine, le père des pauvres, le maître des âmes religieuses, le prédicateur de la pénitence ; il allait devenir, entre les mains de Dieu, un vase d’élection pour pacifier les troubles publics, pour aplanir les différends entre les peuples et les rois ; il allait être le fléau des ennemis de la foi, le thaumaturge de son temps, l’un des plus grands docteurs de l’Église.
L’an 1127, il réconcilie l’archevêque de Reims avec ses diocésains, et l’évêque de Paris avec le roi de France ; l’année suivante il assiste au concile de Troyes, dont il devient l’âme, et il dresse les statuts de l’ordre des templiers. A peine rentré dans sa chère solitude, il en est arraché par un schisme qui désole l’Église ; il assiste au concile de Clermont et d’Étampes, où il décide l’assemblée en faveur du pape Innocent II.
Dans ses courses, toutes d’obéissance pure, les miracles suivaient les pas du moine de Clairvaux, et partout on le recevait comme l’ange de la paix. Le pape lui offrit de magnifiques récompenses ; il refusa tout, les évêchés de Langres, de Châlons, les archevêchés de Gênes, de Reims, de Milan ; il accepta cependant un os de la tête de saint Césaire, martyr, et, avec cette relique, il revint heureux s’enfermer dans son cloître.
La Providence avait suscité l’abbé de Clairvaux pour abattre les ennemis de l’Église et de la foi : il lui fallut quitter encore sa cellule bénie pour venir au concile de Sens ; il y réfuta les doctrines du fameux Abailard, le confondit et le réduisit à se réfugier auprès de Pierre le Vénérable, qui le porta pour le reste de sa vie à la pénitence.
Dieu réservait à Bernard une douce récompense : l’an 1145, il eut la consolation de voir élever sur le trône pontifical un de ses fils, sous le nom d’Eugène III, et, du fond de son désert il lui adressa son beau livre de la Considération. Sous ce pape, on résolut une croisade contre les infidèles, et l’abbé de Clairvaux fut chargé de la prêcher ; il le fit avec succès prodigieux en France et en Allemagne, où les miracles marquaient ses pas. A Bâle, il rendit la parole à un muet et la vue à un aveugle : à Strasbourg, il redonna l’usage de ses jambes à un boiteux, et de tous ses membres à un paralytique. Cependant, la perfidie des Grecs et la mauvaise conduite des soldats ayant fait échouer la croisade, un orage épouvantable se forma contre l’homme de Dieu, qui l’avait prêchée. Le saint moine souffrit avec joie cette persécution, et, attribuant l’insuccès de l’entreprise à son indignité, il s’imposa une rude pénitence. Il reçut alors la mission d’évangéliser les contrées dont Toulouse était la capitale, et se dirigea vers le Midi en passant par Poitiers, Angoulême, Bordeaux, Bergerac, Périgueux et Sarlat. Cette dernière ville était un centre redouté de l’hérésie manichéenne. Saint Bernard l’ébranla par l’éloquence de ses prédications, et acheva de la convertir par la puissance de ses miracles. Les habitants lui présentèrent des pains à bénir. « Faites-en goûter à vos malades, » leur dit-il, « et ils seront guéris. » Sa prédiction s’accomplit à la lettre. Il fut ensuite appelé aux conciles d’Étampes, de Reims et de Trêves, et le pape Eugène vint à Clairvaux, où l’on tint en sa présence un chapitre général de l’ordre.
Ce fut le terme des travaux extérieurs de Bernard. Sentant ses forces s’affaiblir, il obtint de ne plus sortir de son monastère. Ce repos ne fut point sans fruits pour l’Église : le pieux docteur composa divers ouvrages pleins d’onction, fruit de l’amour divin dont son cœur était embrasé, et de sa filiale tendresse pour la Reine du ciel. Le roi de Sardaigne vint le visiter, et revint ensuite se faire son disciple. Sur la prière de l’archevêque de Trêves, l’abbé de Clairvaux consentit encore, tout mourant qu’il était, à venir mettre la paix entre Metz et les princes voisins de cette ville. Ce fut le dernier acte de sa vie, féconde en grandes œuvres. De retour dans son désert, il tomba dans une maladie mortelle qui lui ouvrit le séjour de la gloire céleste le 20 août 1153.
RÉFLEXION PRATIQUE
Pour s’enflammer de courage, Bernard se demandait souvent : « Pourquoi es-tu venu ici ? pourquoi as-tu quitté le monde ?… » A son exemple, posez-vous quelquefois cette grave question : « Pourquoi Dieu m’a-t-il mis au monde ? » Et vous entendrez comme un écho de votre première leçon de catéchisme vous répondre : « Pour connaître, aimer, servir Dieu, et acquérir par ce moyen la vie éternelle. »