Il était juste que le Fils de Dieu, qui s’était revêtu d’une chair humaine pour sauver tous les hommes, se fit connaître à tout le monde, et qu’il ne se manifestât pas seulement au peuple juif, qui était éclairé par la loi et les prophètes, mais encore au peuple gentil, qui vivait dans l’ignorance et l’infidélité, afin que ceux qui étaient auparavant si différents de religion fussent heureusement réunis dans la connaissance et le culte d’une même divinité.

Il était aussi très-convenable que Jésus enfant donnât des marques de sa puissance souveraine, et fit voir que les faiblesses de cet âge ne l’empêchaient pas d’être ce Dieu fort et puissant qui exécute tout ce qui lui plaît et auquel personne ne peut résister. Voilà pourquoi, étant aujourd’hui couché dans une crèche et sur un peu de foin, il appelle à lui le ciel et la terre, les anges et les hommes, les savants et les ignorants, les riches et les pauvres, les rois et les bergers, et les oblige de lui rendre les hommages qu’ils lui doivent, comme à leur souverain Monarque. Toutes les saintes Lettres nous prêchent la grandeur de ce mystère ; les Psaumes de David et la Prophétie d’Isaïe nous en offrent l’image et la description, plutôt que la prédiction et la promesse.

Comme la naissance de cet aimable Sauveur fut annoncée aux Juifs et aux bergers par le ministère d’un ange, envoyé du ciel, de même elle fut découverte aux Gentils et aux rois par l’apparition d’une étoile extraordinaire, que Dieu forma exprès pour cette fin. Et certes, puisque les rois sont les astres du monde, il était raisonnable que ces rois de l’Orient eussent un astre destiné à les conduire, et qu’ils fussent eux-mêmes instruits de la venue du nouveau roi par la parole muette d’un flambeau céleste.

Ces hommes si illustres sont appelés Mages dans les saints Évangiles, non pas qu’ils fussent des enchanteurs et des magiciens, suivant une signification du mot de Mages, mais parce qu’ils étaient très-savants dans les choses naturelles et doués d’une sagesse extraordinaire ; c’était le nom que les Perses et la plupart des peuples d’Orient donnaient à leurs docteurs, comme les Hébreux les appelaient Scribes ; les Égyptiens, Prophètes ; les Grecs, Philosophes, et les Latins, Sages. L’Église leur donne aussi le titre de Rois, comme nous les avons déjà nommés : ce qui est fondé sur ces paroles du psaume LXXI : «Les rois de Tarse et des îles offriront des présents; les rois d’Arabie et de Saba apporteront des dons. Tous les rois de la terre l’adoreront, et toutes les nations le serviront». Les plus anciennes peintures de notre mystère s’accordent avec ce sentiment, représentant les Mages couronnés et avec toutes les marques de la dignité royale. En effet, c’est la croyance commune de tous les fidèles, dont on ne peut marquer le commencement, et qui, par conséquent, n’a pu venir jusqu’à nous que par la tradition des premiers siècles. Nous en avons même des témoignages dans les Pères de l’Église les plus célèbres, comme dans Tertullien, saint Cyprien, saint Hilaire, saint Basile, saint Jean Chrysostome, saint Isidore, le vénérable Bède, Théophilacte et plusieurs autres.

C’était l’usage de ce temps-là, dans les contrées d’Orient, d’élever à la royauté les personnes les plus recommandables par leur érudition et leur sagesse, ou, si les royaumes étaient héréditaires, de former de bonne heure leurs jeunes princes aux sciences naturelles et aux exercices de l’esprit qui leur pouvaient faire mériter le nom de Sages. C’est ce que Platon a remarqué, en traitant de l’éducation des enfants des rois de Perse, où il ajoute que l’astronomie surtout a toujours été estimée une science digne des souverains.

Que si saint Matthieu n’appelle pas ces Mages rois, c’est pour nous apprendre que, en présence de Jésus-Christ, personne ne doit s’attribuer le titre auguste et majestueux de roi, et que les plus puissants monarques ne sont que ses humbles vassaux et ses indignes serviteurs.

On peut croire aussi que ces Mages étaient prêtres, suivant la coutume ancienne de plusieurs peuples rapportée par le même Platon, en parlant des fonctions royales : ils faisaient leurs rois prêtres, ou conféraient aux prêtres la puissance et la dignité de rois, afin, sans doute, que leurs rois, approchant continuellement des autels pour y offrir des sacrifices et s’y occuper des choses divines, prissent plus facilement les mœurs et les inclinations de la divinité, et qu’ils fussent aussi plus respectés de leurs sujets. Mais, que ces Mages fussent proprement rois et prêtres ou non, il est certain que c’étaient des personnes de grand mérite et de très-haute considération, et l’on a toujours cru qu’ils étaient trois, sans compter leur suite, savoir : Gaspar, Balthazar et Melchior. Ils représentaient ainsi, à la crèche du Sauveur, les trois branches de l’humanité : Melchior, les descendants de Sem ; Gaspar, ceux de Cham ; Balthazar, ceux de Japhet. Ayant donc observé, par leur astronomie, qu’il paraissait une nouvelle étoile beaucoup plus éclatante que les étoiles ordinaires, ils jugèrent aussitôt et crurent indubitablement que c’était là cette étoile de Jacob dont le prophète Balaam, de qui les prédictions leur étaient connues, avait autrefois parlé, et qui devait annoncer un roi admirable né pour le salut des peuples. D’ailleurs, le Créateur des étoiles, qui les éclairait intérieurement et leur parlait au fond du cœur, les excita efficacement à suivre ce nouveau guide, et à chercher celui qu’il leur voulait montrer. Aussi, sans consulter davantage le raisonnement humain ni les principes de leur science astronomique, ils se dirent l’un à l’autre : «C’est là sans doute le signe de ce grand roi que nous attendons ; allons le chercher et offrons-lui des présents». Et, abandonnant leurs États et leurs biens aux soins de la divine Providence, ils prirent le chemin de la Judée, où ils savaient, par leurs traditions, que naîtrait ce Roi désiré de toutes les nations.

On ne sait pas précisément d’où ils vinrent, parce que l’Évangéliste s’est contenté de dire qu’ils vinrent d’Orient, c’est-à-dire d’un pays qui était oriental à l’égard de Jérusalem et de Bethléem, ou de cette partie du monde que l’on appelle absolument l’Orient, ce qui comprend un grand nombre de provinces et de royaumes. L’opinion la plus probable est qu’ils vinrent de l’Arabie heureuse, qui fut habitée par les enfants qu’Abraham eut de Cétura, sa seconde femme, à savoir : Jecsan, qui fut père de Saba, et Madian, qui fut père d’Epha. C’est ce que le Roi-Prophète semble témoigner, lorsqu’il dit «que Notre-Seigneur serait adoré par les rois des Arabes et de Saba, et qu’on lui donnerait de l’or d’Arabie» ; et le prophète Isaïe, lorsqu’il dit «qu’on viendrait de Madian et d’Epha sur des chameaux pour le reconnaître». Les présents que les Mages lui offrirent favorisent beaucoup cette opinion : en effet, c’est principalement dans l’Arabie que naissent l’or, l’encens et la myrrhe.

On ne sait pas au juste combien de temps dura leur voyage. La tradition de l’Église nous apprend qu’ils arrivèrent à Jérusalem le 6 janvier. Si la longueur et la difficulté des chemins leur causèrent beaucoup de fatigues, ils furent infiniment consolés par la vue du merveilleux flambeau qui brillait devant eux et leur montrait leur route, et par l’espérance de jouir bientôt de la présence de ce Roi incomparable que les astres même annonçaient au monde ; de plus, le Saint-Esprit ne manquait pas de répandre dans leurs âmes ses divines douceurs qui leur semblaient d’autant plus sensibles, qu’ils n’étaient pas accoutumés à ces impressions surnaturelles.

Arrivés dans la capitale de la Judée, les Mages demandèrent, non pas si le roi des Juifs était né, mais en quel endroit il était ; «car», dirent-ils, «nous avons vu son étoile dans l’Orient, et nous sommes venus l’adorer». Ce langage inquiéta vivement Hérode, surnommé le Grand ou l’Ascalonite ; la famille des Hérodes, qui avait enlevé le trône de la Judée à la famille légitime des Machabées, craignait sans cesse d’en être dépossédée. L’Ascalonite, d’ailleurs, était d’un caractère ombrageux et cruel ; il avait fait mourir Mariamme, sa femme, d’abord aimée éperdument ; Alexandre et Aristobule qu’il avait eus de cette première princesse ; un autre de ses fils, Antipater, qu’il avait eu de Doris, sa première femme, et beaucoup de personnages éminents qui excitaient ses soupçons.

Aussitôt donc qu’il entendit parler d’un roi des Juifs nouvellement né, il résolut de ne reculer devant aucun crime pour s’en défaire. Mais, pour cacher mieux ses sanguinaires desseins, il fit semblant de n’attacher aucune importance aux prophéties dont parlaient les Mages ; il leur accorda à eux et à leur suite la faculté de continuer leur voyage, en leur recommandant toutefois le plus grand secret. Et, comme s’il était prêt à les aider par tous les moyens dans leurs projets, il rassembla, sous prétexte de leur fournir les renseignements qu’ils demandaient, les premiers d’entre les prêtres et les docteurs les plus considérables de la ville, afin d’apprendre d’eux où devait naître le Christ qu’ils attendaient pour leur roi. Ils lui répondirent que, suivant leurs traditions, fondées sur une prophétie de Michée, ce devait être à Bethléem de Juda. Puis il prit en particulier les Mages, leur demanda bien précisément le temps auquel cette étoile dont ils parlaient leur était apparue, et les envoyant à Bethléem, il leur dit : «Allez, prenez des informations exactes sur cet Enfant, et lorsque vous l’aurez trouvé, ne manquez pas de m’en donner avis, afin que je puisse y aller aussi et l’adorer». Rien n’était plus éloigné de sa pensée, mais il voulait savoir le lieu de la naissance du Sauveur, pour le faire égorger au plus tôt, comme l’a prouvé depuis le massacre des Innocents.

Les Mages ayant reçu ces instructions, partirent à l’heure même de Jérusalem, peu édifiés de ce procédé des Juifs qui négligeaient de chercher parmi eux celui que des étrangers venaient adorer des pays les plus éloignés. Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue en Orient les précédait jusqu’à ce que, s’avançant toujours, elle s’arrêta au-dessus du lieu où était l’Enfant. A la vue de l’étoile, ils furent transportés d’une grande joie. Ils y entrèrent et trouvèrent un enfant de treize jours, enveloppé de pauvres langes et couché sur une poignée de foin. Il est vrai qu’il y a des auteurs qui tiennent que la sainte Famille, c’est-à-dire Marie et Joseph avec leur divin enfant, s’étaient alors retirés dans une maison plus commode de la ville de Bethléem, et ils se fondent sur ces paroles de l’Évangile de saint Matthieu : «Et, entrant dans la maison, ils trouvèrent l’Enfant». Mais le sentiment commun des saints Pères est que ce fut dans l’étable même où le Sauveur était né qu’il fut trouvé par les Mages ; les paroles de saint Matthieu ne sont pas contraires à cette opinion, puisque le mot maison, dans l’Écriture sainte, signifie toute sorte de demeure. Quoi qu’il en soit, des dehors si chétifs ne furent pas capables de les rebuter ; pénétrant, par la lumière de la foi, la grandeur infinie de celui qui ne paraissait qu’un enfant, ils le reconnurent pour vrai Dieu et pour souverain Monarque de l’univers. Ils se prosternèrent devant lui jusqu’à terre, ils l’adorèrent avec un profond respect, et ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent en présent de l’or, de la myrrhe et de l’encens : de l’or pour honorer sa royauté, de l’encens pour faire hommage à sa divinité, de la myrrhe pour rendre témoignage de sa vie passible et mortelle. «Mais, Ô Mages ! que faites-vous ?» s’écrie saint Bernard. «Ô sages du monde ! à quoi pensez-vous ? Vous adorez un enfant pendant aux mamelles de sa mère, logé dans une vile chaumière et enveloppé de pauvres langes. Quoi donc ! croyez-vous que cet enfant soit Dieu ? Dieu est dans l’immensité du ciel comme dans le temple de sa gloire, et cet enfant est réduit à la demeure étroite d’une étable, d’une crèche et du sein d’une mère. Croyez-vous encore une fois qu’il soit roi ? Où est donc son palais royal ? Où est le trône de son empire ? Où est le cercle de ses courtisans ? Peut-être que l’étable est son palais; la crèche, son trône; Marie et Joseph, ses courtisans. Comment est-ce que des personnes si sages se sont tellement aveuglées et ont renoncé jusqu’à ce point au sens commun, que d’adorer, comme Dieu, un enfant dont l’âge et la suite semblaient n’avoir rien que de méprisable et d’infiniment éloigné de la divinité ? C’est sans doute le Saint-Esprit qui les a aveuglés et qui leur a inspiré cette folie selon le monde, pour les rendre sages selon Dieu». Nous pourrions encore ajouter, à ces beaux sentiments de saint Bernard, d’autres pensées très-relevées et très-pieuses sur le même sujet; mais les livres de méditations en sont remplis ; contentons-nous de cette réflexion. Bien que ce pauvre lieu, sur lequel l’étoile s’arrêta, et où les Mages trouvèrent Jésus, ne paraisse pas le palais d’un roi ni le temple d’un Dieu, il est néanmoins l’un et l’autre ; et même il n’y a point dans le monde de palais si superbe ni de temple si magnifique. C’est un palais consacré par la présence et par la demeure de Jésus. C’est un temple où Jésus, qui est le premier et le souverain Prêtre, offre à son Père éternel le sacrifice de ses humiliations, de ses anéantissements et même de ses souffrances, en y répandant son sang dans la Circoncision. C’est une sainte maison que nous pouvons appeler le paradis de la terre, puisque Dieu y est dans la splendeur et la gloire de sa majesté ; que le Verbe éternel, délices des bienheureux, y repose aussi véritablement que dans le ciel ; que l’âme sainte du Sauveur y jouit de la vue intuitive de l’essence divine, avec la même perfection qu’au moment de sa résurrection et de son ascension, et que dans la suite de tous les siècles ; enfin, que toutes les puissances du ciel y descendent en foule pour adorer, dans l’infirmité de la chair, celui qu’elles adorent depuis la création du monde dans la force de la divinité.

Après que les Mages eurent rendu leurs hommages à ce souverain Seigneur et qu’ils eurent joui quelque temps de l’entretien admirable de Marie et de Joseph, ils furent avertis, par révélation, de ne point repasser par Jérusalem, de ne point retourner vers Hérode, mais de prendre un autre chemin pour se rendre en leur pays. Ils prirent donc congé du Fils, de la Mère et du saint nourricier, versant quantité de larmes et leur protestant qu’ils n’abandonneraient jamais cette foi dont ils venaient de faire profession. Ils laissèrent leur cœur et leur âme dans cette étable et cette crèche où ils avaient trouvé un si grand trésor, et partirent à petit bruit et le plus secrètement qu’ils purent, sans se faire connaître dans les lieux où ils passaient, de peur qu’on en donnât avis à Hérode.

Le religieux Cyrille, dans la vie de saint Théodose, abbé, dit qu’ils fuyaient les grands chemins et les lieux les plus fréquentés par les voyageurs, et qu’ils allaient par des sentiers écartés et se retiraient, la nuit, dans des cavernes qu’ils trouvaient au milieu de la solitude. Conduits par la même main qui les avait amenés, ils arrivèrent enfin en leur pays, où ils prêchèrent à leurs peuples ce qu’ils avaient vu et entendu des merveilles du Verbe de Dieu incarné pour le salut des hommes. Laissant ensuite leurs royaumes, leurs plaisirs et leurs richesses, pour se mieux conformer à l’état de pauvreté et d’abjection qu’ils avaient reconnu dans le Sauveur du monde, ils commencèrent à faire profession de l’humilité chrétienne. Ils continuèrent avec beaucoup de constance, s’efforçant d’ailleurs de faire pénétrer dans les âmes aveuglées par les ténèbres de l’idolâtrie la lumière dont ils avaient été éclairés, et d’embraser les cœurs de ceux qui les écoutaient du feu divin qui dévorait leurs entrailles. Ils vivaient encore lorsqu’après la mort, la résurrection et l’ascension de Notre-Seigneur, l’apôtre saint Thomas vint en leur pays ; il leur apprit tout ce qui s’était passé depuis leur départ de Judée, pendant le cours de la vie du Sauveur et après sa mort, les instruisit de tous les mystères de notre sainte religion, les baptisa, les confirma, les fit prêtres et les consacra évêques ; ils eurent alors plus de liberté de publier de tous côtés la foi de Jésus-Christ et d’exercer dans ces contrées orientales les fonctions apostoliques.

Enfin, ils se sont acquis, par leur zèle et leur générosité, la couronne du martyre, s’offrant eux-mêmes en sacrifice d’une odeur plus agréable que n’avaient été l’or, l’encens et la myrrhe qu’ils avaient autrefois présentés dans Bethléem. Voilà ce que la tradition de l’Église nous fournit de plus certain sur les Mages, quoique le calendrier de Cologne rapporte autrement leur décès ; d’après ce martyrologe, ces saints personnages, étant déjà prêtres et évêques, se rencontrèrent tous trois ensemble, l’an 54 de Notre-Seigneur, dans la ville de Servan, après de nombreux travaux évangéliques, et y célébrèrent de compagnie la fête de Noël ; ensuite Melchior décéda le premier jour de janvier, âgé de cent seize ans ; Balthazar, le six, la cent douzième année de son âge; et aussitôt après, Gaspar, âgé de cent neuf ans. Quand le second fut mort et qu’on le voulut inhumer dans le sépulcre du premier, le corps de celui-ci se retira de lui-même pour lui donner la droite ; et lorsqu’on y apporta le troisième, l’un et l’autre se retirèrent aussi pour lui donner le milieu. Ces choses, néanmoins, sont peu sûres, car il n’y a point d’auteur ancien qui en fasse mention. Ce qui est plus certain, c’est que leurs saintes reliques furent premièrement transportées de Perse à Constantinople par le zèle et la piété de l’impératrice sainte Hélène, et qu’elles y furent déposées avec magnificence dans l’auguste basilique de Sainte-Sophie. Depuis, elles ont été apportées à Milan, du temps de l’empereur Emmanuel, par l’évêque saint Eustorge, et elles sont restées, selon la supputation de Pierre Galésinius, l’espace de 670 ans, dans l’église dite Eustorgienne, où c’était la coutume de célébrer les saints mystères en la fête de l’Épiphanie, au milieu de la nuit et avec les mêmes cérémonies qu’à la fête de la Nativité de Notre Seigneur. Enfin, l’an 1162, où l’empereur Frédéric Barberousse prit et saccagea la ville de Milan, ces précieux restes des corps des saints Mages furent transportés à Cologne en Allemagne, où ils sont gardés jusqu’à ce jour avec une extrême vénération.

En 1794, au moment où les armées françaises approchaient de la ville, le trésor de la cathédrale fut porté sur la rive droite du Rhin ; le chapitre émigra à Arnsberg, en Westphalie, et y mit la châsse en lieu sûr. D’Arnsberg, ce trésor fut porté en différents endroits, et enfin à Francfort-sur-le-Mein. C’est là que les chanoines prirent le parti de vendre la châsse pour se procurer des moyens d’existence. Le bruit de cette spoliation, déjà en partie exécutée, parvint aux oreilles d’un habitant de Francfort, qui, alarmé à cette nouvelle, chercha à détourner le sort funeste qui menaçait ce précieux monument.

M. Molinari (c’est le nom de cet ami zélé des arts) se rendit auprès du Président français à Francfort, et obtint du premier Consul la permission de faire reporter à son ancienne place l’antique reliquaire de Cologne. Ce fut le 4 janvier 1804 que la châsse entra dans la ville et fut déposée dans la salle du chapitre, où elle resta jusqu’à ce qu’elle eût été convenablement réparée. Le transport avait notablement endommagé le monument: quelques-unes des statues étaient brisées, tordues ou détachées et perdues ; un grand nombre de pierres avaient été soustraites ; les décorations des couvercles manquaient presque entièrement. Un orfèvre nommé Guillaume Pollock, aidé de ses deux fils, s’occupa pendant plusieurs années de cette restauration, et réussit à mettre la châsse à peu près dans l’état où on la voit aujourd’hui.

Le 23 décembre 1807, la châsse fut publiquement exposée dans la salle du chapitre, et le 8 janvier 1808, elle fut bénite et rétablie dans la chapelle de marbre qui avait été affectée à cette destination dans le XVIIe siècle. Cependant un nouveau désastre devait arriver à ce monument.

Un misérable, tenté par la cupidité, eut l’idée de s’emparer de ce trésor, et dans la nuit du 18 au 19 octobre 1810, il emporta plusieurs ornements en or et en argent et un grand nombre de pierreries. Grâce à l’activité de la police, le voleur et les objets enlevés furent bientôt découverts ; les choses les plus précieuses furent rendues au chapitre de la cathédrale, et le 6 juin 1822, la châsse, entièrement rétablie pou la seconde fois, était réintégrée dans le sanctuaire qui lui était consacré.

Il est facile de reconnaître les Rois Mages dans les différentes représentations que les arts ont données de leur adoration, quelles que soient les variétés du costume dont on les affuble, et la multiplicité des accessoires dont on les accompagne.

Les artistes ont rarement manqué de mettre, dans le ciel déployé comme une tente au-dessus de leurs têtes, l’étoile conductrice. La signification de cette étoile est on ne peut plus claire lorsque, dans cet astre, les peintres ont placé un enfant emmailloté qui semble, du haut du firmament, convier à son berceau les prémices des Gentils. Leur tête est tantôt coiffée du bonnet phrygien que l’art gréco-romain attribuait aux races Assyriennes et Mèdes restées en dehors de la civilisation antique ; tantôt elle est entourée du turban oriental, tantôt enfin elle porte la couronne qui rappelle leur dignité de rois. Derrière eux on place un train de chameaux. Enfin, l’un de ces monarques revêt souvent le type nègre pour faire entendre que toutes les races humaines étaient appelées dans leur personne à la connaissance de l’Évangile.

Un Ménologe grec, du IXe siècle, les fait présenter par un ange au roi Jésus. Le Campo santo de Pise possède une fresque célèbre de l’adoration des Mages faite au XVe siècle par Benozzo Gozali. Ciampini a publié une mosaïque de Ravenne, du VIe siècle, où quatre anges entourent le trône de la Vierge tenant l’enfant Jésus présenté à leurs adorations. Même sujet, dans plusieurs mosaïques et plusieurs bas-reliefs des tombeaux des catacombes.

Les Rois Mages, comme on le sait, sont spécialement honorés à Cologne. Leur culte est aussi en honneur à Lima, capitale du Pérou. On les invoque contre l’épilepsie. Enfin les scieurs de bois, à Malines, et les fabricants de cartes, en tous pays, les ont adoptés pour patrons.

La fête de l’Épiphanie a été de tout temps très-célèbre en l’Église chrétienne ; c’est au point que les empereurs même n’osaient pas manquer d’assister ce jour-là aux saints mystères et aux cérémonies ecclésiastiques.

Julien l’Apostat, quoiqu’il fût un prince très-méchant et sans piété, voulut toutefois, étant en France, couvrir son apostasie, en assistant, le jour de cette fête, à la solennité qui s’en faisait dans l’Église. L’empereur Valens, quoiqu’il fût infecté de l’arianisme, et eût en horreur la sainteté de nos mystères, craignant de passer pour un homme entièrement dépourvu de religion, n’eut pas la hardiesse de s’en absenter. Pour le très-religieux empereur Théodose, il honora cette fête jusqu’au point d’ordonner, par une loi expresse, la cessation de tous les actes du barreau, sept jours auparavant et sept jours après. D’après un usage qui se conserva à la cour de France jusqu’en 1378 et au delà, le roi très-chrétien, venant à l’offrande en ce jour, présentait de l’or, de l’encens et de la myrrhe comme un tribut à Notre Seigneur.

L’Église n’honore pas seulement en cette fête la manifestation de Jésus-Christ aux Mages, mais elle célèbre encore la mémoire de deux autres manifestations du Sauveur. La première se fit à son baptême, lorsque le Saint-Esprit descendit visiblement sur lui sous la forme d’une colombe, et que l’on entendit une voix du ciel qui disait : «Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j ai mis mes complaisances». La seconde se fit aux noces de Cana, où Jésus-Christ opéra son premier miracle en changeant l’eau en vin : par ce miracle le Sauveur manifesta sa divinité, et donna d’avance comme le présage qu’il convertirait un jour le vin en son précieux sang : ce qu’il a fait en la dernière cène, ce qu’il fait tous les jours dans la célébration du saint sacrifice de la messe.

Pour achever le tableau de cette fête, nous empruntons à l’Année liturgique de Dom Guéranger les extraits suivants :

« La fête de l’Épiphanie est la suite du mystère de Noël ; mais elle se présente sur le cycle chrétien avec une grandeur qui lui est propre. Son nom, qui signifie manifestation, indique assez qu’elle est employée à honorer l’apparition d’un Dieu parmi les hommes.

« Ce jour, en effet, fut consacré pendant plusieurs siècles à fêter la naissance du Sauveur, et lorsque, vers l’an 376, les décrets du Saint-Siège obligèrent toutes les Églises à célébrer désormais, avec Rome, le mystère de la Nativité au 25 décembre, le 6 janvier ne fut pas entièrement déshérité de son antique gloire. Le nom d’Épiphanie lui resta avec la glorieuse mémoire du baptême de Jésus-Christ, dont la tradition fixe l’anniversaire à ce jour.

« L’Église grecque donne à cette fête le vénérable et mystérieux nom de Théophanie, si célèbre dans l’antiquité, pour signifier une apparition divine. On trouve ce nom dans Eusèbe, dans saint Grégoire de Nazianze, dans saint Isidore de Peluse ; il est le propre titre de la fête dans les livres liturgiques de l’Église melchite.

« Les Orientaux appellent encore cette solennité les saintes lumières, à cause du baptême que l’on conférait autrefois en ce jour, en mémoire du baptême de Jésus-Christ dans le Jourdain. On sait que le baptême est appelé, dans les Pères, illumination, et ceux qui l’ont reçu, illuminés.

« Enfin, nous nommons familièrement, en France, cette fête, la Fête des Rois, en souvenance des Mages dont la venue à Bethléem est particulièrement solennisée aujourd’hui.

« L’Épiphanie partage, avec les fêtes de Noël, de Pâques, de l’Ascension et de la Pentecôte, l’honneur d’être qualifiée de jour très-saint, au Canon de la messe, et on la range parmi les fêtes cardinales, c’est-à-dire parmi les solennités sur lesquelles repose l’économie de l’Année chrétienne. Une série de six dimanches emprunte d’elle son nom, comme d’autres successions dominicales se présentent sous le titre de Dimanches après Pâques, Dimanches après la Pentecôte.

« Par suite de la convention faite, en 1801, entre Pie VII et les consuls de la République française, le légat Caprara procéda à une réduction de fêtes, et la piété des fidèles en vit, à regret, supprimer un grand nombre. Il y eut des solennités qui ne furent pas supprimées, mais dont la célébration fut remise au dimanche suivant. L’Épiphanie est de celles qui subirent ce sort ; et toutes les fois que le 6 janvier n’est pas un dimanche, nos Églises voient retarder jusqu’au dimanche suivant les pompes qui accompagnent un si grand jour dans tout l’univers catholique.

La piété des fidèles, au moyen âge, présentait au prêtre, pour qu’il les bénît en la fête de l’Épiphanie, de l’or, de l’encens et de la myrrhe, et l’on conservait, en l’honneur des trois Rois, ces signes touchants de leur dévotion envers le Fils de Marie, comme un gage de bénédiction pour les maisons et pour les familles. Cet usage s’est conservé encore en quelques diocèses d’Allemagne, et il n’a disparu du Rituel romain que dans l’édition de Paul V, qui crut devoir supprimer plusieurs bénédictions que la piété des fidèles ne réclamait plus que rarement.

« Un autre usage a subsisté plus longtemps, inspiré aussi par la piété naïve des âges de foi. Pour honorer la royauté des Mages venus de l’Orient vers l’Enfant de Bethléem, on élisait au sort, dans chaque famille, un roi pour cette fête de l’Épiphanie. Dans un festin animé d’une joie pure, et qui rappelait celui des noces de Galilée, on rompait un gâteau, et l’une des parts servait à désigner le convive auquel était échue cette royauté d’un moment. Deux portions du gâteau étaient détachées pour être offertes à l’enfant Jésus et à Marie, en la personne des pauvres, qui se réjouissaient aussi en ce jour du triomphe du Roi humble et pauvre. Les joies de la famille se confondaient encore une fois avec celles de la religion ; les liens de la nature, de l’amitié, du voisinage se resserraient autour de cette table des Rois, et si la faiblesse humaine pouvait apparaître quelquefois dans l’abandon d’un festin, l’idée chrétienne n’était pas loin et veillait au fond des cœurs.

« Heureuses encore aujourd’hui les familles au sein desquelles la fête des Rois se célèbre avec une pensée chrétienne ! »

« Si Dieu me fait la grâce d’aller au ciel, je me réjouis dès aujourd’hui d’être admis dans la société des Saints et des Saintes dont la légende raconte tant de choses merveilleuses ; surtout j’irai à la recherche des trois Mages pour leur dire combien je les aime et les admire ».
A. Stolz
Panier

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