De temps immémorial, l’Église latine célèbre ensemble, au 1er mai, les deux apôtres saint Philippe et saint Jacques le Mineur.

Saint Philippe était né à Bethsaïde, — la Maison de pêche, — bourgade située au nord du lac de Génésareth, qui était aussi la patrie de Simon-Pierre et de son frère André. Lié avec eux, il fut sans doute, comme eux, disciple de saint Jean-Baptiste. Le lendemain du jour où Simon avait été conduit à Jésus par son frère, le divin Maître rencontra Philippe ; il lui dit seulement : Suis-moi ! Et, vaincu par la grâce, Philippe le suivit. Bientôt, inaugurant son rôle d’apôtre, il allait trouver son ami Nathanaël : Celui de qui Moïse a écrit, que nous ont annoncé les prophéties, nous l’avons trouvé : c’est Jésus de Nazareth. Nathanaël sourit avec dédain : De Nazareth, peut-il venir quelque chose de bon ? demanda-t-il, sceptique. Sans s’embarrasser dans une controverse, Philippe, qui avait sur lui-même constaté l’influence souveraine du Messie, se contenta de répondre : Viens et vois. Cette fois encore, il suffit à Jésus de dire un mot pour gagner le méprisant Nathanaël.

Les trois premiers évangélistes n’ont fait qu’insérer le nom de saint Philippe au catalogue des apôtres. Saint Jean seul, après avoir raconté sa vocation, l’introduit encore dans trois scènes de son Évangile. C’est d’abord à Bethsaïde, lors de la première multiplication des pains. En voyant la foule affamée qui se pressait devant lui, Jésus se tourna vers ses disciples et, s’adressant à Philippe, — était-ce pour exciter en lui une foi plus vive en sa puissance divine ? — Où achèterons-nous du pain, dit-il, pour nourrir tant de monde ? — Il faudrait, répondit l’apôtre, plus de deux cents deniers de pain ; encore chacun n’en aurait-il qu’un petit morceau. La promptitude d’évaluation montre l’esprit pratique de Philippe ; de sa réponse, on a voulu conclure qu’il était chargé des provisions de la petite troupe, et même que la somme indiquée par lui était celle que renfermait alors la bourse commune.

L’année suivante, Jésus venait d’entrer en triomphe à Jérusalem. Il se promenait sous les portiques du Temple, lorsque quelques Gentils, sans doute des Grecs prosélytes, abordèrent Philippe ; peut-être le nom grec de l’apôtre le leur avait fait remarquer. Seigneur, lui dirent-ils, nous voudrions voir Jésus.
La prière de ces pieuses gens émut Philippe ; hésita-t-il cependant à les introduire lui-même auprès du Maître ? Il vint trouver son ami André, lui exposa la requête ; tous deux ensemble avertirent Jésus et provoquèrent ainsi l’élan de son enthousiasme et de sa sainte fierté : Voici venue l’heure où doit -être glorifié le Fils de l’homme !

Enfin, quelques jours plus tard, au Cénacle, après l’institution de la sainte Eucharistie, Jésus disait à ses disciples : Si vous m’aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père ; mais bientôt vous le connaîtrez et même déjà vous l’avez vu. Soudain, avec une familiarité primesautière, Philippe s’écria : Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit. Il n’avait pas, non plus que ses compagnons, saisi la profondeur de la révélation : il demandait, ne se souvenant pas qu’il l’eût vu de ses yeux, que le Père leur fût dévoilé dans une de ces théophanies que raconte l’Ancien Testament. Jésus, avec un doux reproche, accentua le sens-mystérieux de sa révélation : c’est en le voyant lui-même que les apôtres voyaient le Père, puisque Père et Fils ne font qu’un dans l’unité de la nature divine.
Comment donc, toi qui vis avec moi depuis si longtemps, peux-lu me dire : « Montrez-nous le Père ? »

La tradition ajoute peu à ces témoignages de l’Évangile.
Lorsque les apôtres se dispersèrent à travers le monde, en 44, saint Philippe semble bien avoir porté la foi d’abord en Scythie et en Lydie ; puis il passa en Phrygie et ses dernières années s’écoulèrent à Hiérapolis. Eusèbe rapporte qu’il y vivait avec deux des trois filles qu’il avait eues en Palestine ; car il était marié quand Jésus l’appela. Bien que Clément d’Alexandrie ait raconté qu’il mourut de mort naturelle, il paraît certain qu’il signa sa foi de son sang et fut, à 87 ans, crucifié la tête en bas.
Ses reliques furent, dans la suite des temps, transportées à Rome et placées sous le grand autel de l’église des Saints-Apôtres, avec celles de saint Jacques.

Celui-ci est dit le Mineur, probablement à cause de sa petite taille (en grec, il est appelé le petit). Il était fils d’Alphée et de Marie, sœur aînée — ou cousine — de la sainte Vierge ; et ainsi l’aîné des quatre cousins de Notre-Seigneur, qui sont, avec lui, Josès, Jude et Simon ou Syméon, le second évêque de Jérusalem.

De Jacques, l’Évangile ne nous apprend rien, sinon qu’il fut un des douze apôtres. Mais la tradition, complétant les quelques détails ajoutés à l’Évangile par les Actes des Apôtres, donne de lui une connaissance plus complète que celle d’aucun de ses compagnons, sauf Pierre et Paul.

Il n’est pas possible, il est vrai, d’admettre qu’il ait été publicain, comme Mathieu, ni prêtre, ainsi que l’affirme Hégésippe.
Mais il est croyable et généralement admis que, même avant sa naissance, il fut consacré à Dieu. Dès son enfance, par suite, sa vie fut fort austère et très pieuse ; jamais il ne but de liqueurs fermentées, jamais il ne mangea de viande ; jamais non plus il ne coupa ni ses cheveux ni sa barbe, ni n’usa de bains, ni d’huile pour oindre ses membres ; il marchait pieds nus, vêtu seulement d’une tunique et d’un manteau de lin ; ses prières prolongées et qu’il faisait agenouillé, bien que l’usage général des Juifs fût de prier debout, lui avaient durci les genoux comme le calus du chameau. Profondément pénétré de l’esprit d’Israël, il avait une vénération religieuse pour les cérémonies, les observances, les traditions, le culte judaïques. Sa sainteté indiscutable lui avait attiré l’admiration universelle ; on l’appelait le Juste, le Rempart et le Secours du peuple. Aussi, d’après Hégésippe, lui avait-on donné le droit d’aller, quand il le désirait, prier dans la partie du Temple réservée aux prêtres qu’on appelait le Saint.

Il était de quelques années plus âgé que Jésus, son cousin, et peut-être avait été élevé près de lui à Nazareth. Aussi fut-il prompt à s’attacher au divin Maître. Celui-ci, avant de monter au ciel, lui aurait confié l’évangélisation de Jérusalem. Quoi qu’il en soit, c’est à lui que, au moins avant de se disperser par le monde, les apôtres remirent, en l’en constituant évêque, la communauté chrétienne de la Ville sainte. Quel que fût son attachement à la Loi nouvelle, il garda toute sa vie un attachement fidèle pour l’antique Alliance, dont l’implacable discipline, les sanglants sacrifices, les prescriptions étroites convenaient à son austère nature. Il maintint l’Église dont il avait la charge dans cet esprit, fort opposé à celui que saint Paul devait faire prévaloir. Pourtant lorsque, en 51, à l’assemblée de Jérusalem, la question fut posée, avec une certaine animosité de la part des judaïsants, de savoir à quel titre et dans quelle mesure et à quelles conditions on ouvrirait aux Gentils les portes de l’Église, après saint Pierre, saint Jacques dit des paroles d’une parfaite modération. Il établit que l’admission des païens, sans passer par le joug de la Loi, était, selon la volonté de Dieu, formulée par les prophètes ; et il se contenta donc de demander qu’en entrant dans l’Église, ils acceptassent du moins, par respect de la charité envers les fidèles sortis de la synagogue, l’observation de certains rites extérieurs. Ce fut l’avis qui définitivement fut adopté.

L’apôtre avait-il à cette époque écrit déjà l’épître qui porte son nom et qui est adressée aux douze tribus qui sont dans la dispersion, c’est-à-dire surtout, mais non exclusivement, aux Juifs convertis ? Il paraît plus probable que la date en doive être fixée entre 60 et 66 ; car elle s’élève, semble-t-il, en grande partie contre une fausse interprétation des épîtres de saint Paul aux Romains et aux Galates et veut montrer que, si les œuvres sans la foi ne peuvent être utiles au salut, la foi non plus sans les œuvres ne saurait y mener. C’est aussi sur cette épître que se fonde l’enseignement de l’Église au sujet de l’extrême-onction. Quelqu’un parmi vous est-il malade ? dit l’apôtre. Qu’il appelle les prêtres de l’’Église et que ceux-ci prient sur lui en l’oignant de l’huile du Seigneur. Et la prière de la Loi sauvera le malade et le Seigneur le rétablira; et s’il a commis des péchés, ils lui seront pardonnés.

Malgré la vénération dont il était entouré, saint Jacques, par son zèle apostolique, avait excité contre lui la haine des pharisiens et des princes des prêtres. Ils profitèrent d’une occasion favorable pour la satisfaire. Le procurateur Festus était mort en 62 ; son successeur Albinus tardait à venir. Le grand-prêtre Hannan, — ou Anne — fils de celui devant qui comparut Notre-Seigneur, avait audacieusement assumé le pouvoir. Il se hâta de l’employer contre Jacques. Parmi les divergences des récits, on peut, ce semble, établir ainsi les faits.
Saisis par l’ordre du grand-prêtre, Jacques et quelques-uns des frères comparurent devant le sanhédrin ; Hannan n’eut pas de peine à obtenir de ce tribunal qu’il condamnât les accusés à la lapidation.

On était au temps de Pâques ; une grande foule, comme à l’ordinaire, se pressait dans Jérusalem. Les assassins menèrent Jacques sur une des terrasses du Temple, d’où il dominait les Juifs assemblés, et, avec des paroles flatteuses, l’engagèrent à détourner le peuple du « crucifié Jésus ». Mais lui : « Pourquoi, cria-t-il à haute voix, m’’interrogez-vous sur Jésus, le Fils de l’homme ? Aujourd’hui il est assis à la droite de la grande Vertu de Dieu et il viendra dans les nuées du ciel. — Oh ! s’écrièrent alors les bourreaux décontenancés, le Juste lui-même s’égare ! » Et ils le précipitèrent de la terrasse ; c’était le prélude de la lapidation. Jacques s’était brisé les jambes dans sa chute ; cependant il put s’agenouiller, tandis que les scribes en fureur hurlaient : « Lapidons Jacques le Juste ! » et commençaient à lui jeter des pierres. « Seigneur Dieu, notre Père, priait l’évêque, pardonnez-leur ; ils ne savent ce qu’ils font. » Un des assistants, — quelques-uns disent Syméon, le frère de la victime, — essaya de le sauver : « Laissez, insistait-il, ne l’entendez-vous pas prier pour nous ? » Mais la haine suivait son cours. Enfin, le martyr respirant encore, un foulon s’approcha et, de la masse dont il usait dans son métier, lui brisa le crâne.

Ce meurtre indigna les Juifs eux-mêmes et surtout les stricts observateurs de la Loi, car ils se glorifiaient de Jacques. À leur instigation, le roi Agrippa II se hâta de déposer Hannan. Et quand vint la grande désolation et la ruine de Jérusalem et de son Temple, c’est à la vengeance que le ciel voulait tirer de ce crime que le sentiment public l’attribua.

Ouvrage : Saints et Saintes de Dieu, Imprimatur 30 Décembre 1924

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