Jésus dînait chez un pharisien, nommé Simon. «  Pendant le festin, une femme entra dans la salle, portant un vase d’albâtre qui contenait un liqueur odoriférante. Elle se nommait Madeleine ; elle était pécheresse, et toute la ville connaissait ses scandales. A la vue des convives, elle se prosterna derrière Jésus, lui baisa les pieds en pleurant, y versa ses parfums mêlés de ses larmes, et les essuya de ses cheveux. »

Le maître de la maison, voyant l’action de Madeleine, s’étonna que Jésus la souffrît. Il pensait en son esprit : S’il était prophète, il saurait qui est cette femme et qu’elle est pécheresse !

Jésus voulut montrer au pharisien qu’il savait mieux que lui quelle était cette femme, et ne le connaissait pas moins lui-même : « Simon, » dit-il, «j’ai quelque chose à te dire. Un créancier avait deux débiteurs. L’un lui devait cinq cents deniers, l’autre cinquante, et comme ni l’un ni l’autre n’avaient de quoi le payer, il leur remit à l’un et à l’autre ce qu’ils lui devaient. Des deux, lequel l’aima davantage ?» — « Suivant moi, » répondit Simon, « c’est celui à qui il a le plus remis. » — « Tu juges bien, » reprit Jésus.

Alors, se tournant vers la pécheresse, mais continuant de parler au pharisien : « Tu vois cette femme ? je suis venu dans ta maison, et tu n’as point préparé d’eau pour me laver les pieds : cette femme les a arrosés de ses larmes, et les a essuyés de ses cheveux. Tu ne m’as point donné le baiser : elle, depuis qu’elle est entrée, elle n’a cessé de baiser mes pieds. Tu n’as point répandu d’huile sur ma tête : elle a répandu sur mes pieds son parfum. C’est pourquoi, je te le dis, beaucoup de péchés lui seront pardonnes, parce qu’elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui l’on remet moins aime moins. »

Le parfum de Madeleine a rempli la terre et les siècles. Accepté par Jésus, il est devenu l’odeur même du Christ, l’odeur de la clémence infinie qui attire à la vie éternelle. Madeleine est la première pénitente du Sauveur. Elle le reconnut vraiment Sauveur, dans le sens qu’il devait « sauver son peuple de leurs péchés. » Elle lui demanda la vraie guérison, celle des plaies mortelles de l’âme ; elle fit la vraie satisfaction, celle des larmes ; elle paya le vrai tribut, celui de l’amour. Jésus lui décerne une gloire qu’il n’a donnée à nul autre : « Elle a beaucoup aimé. » Cette parole est de celles qui n’avaient pas encore été prononcées dans le monde, et le monde n’avait rien imaginé qui en approchât ; elle est restée, dans le monde, plus puissante sur les cœurs que toutes les lumières de la raison, tous les livres de la morale et toutes les contraintes de la loi.

Jésus donc dit à la grande pécheresse, désormais la grande pénitente : « Tes péchés te sont remis. » Les pharisiens murmurèrent, comme ils avaient fait à Capharnaum en entendant le même langage. « Qui est celui-ci, » se dirent-ils, «  qui remet même les péchés ?  »  Le monde, en pareil cas, ou ne permet point que l’on condamne, ou ne permet point que l’on pardonne. Il n’a qu’une infâme indulgence ou une implacable rigueur. Dieu voit le repentir, pardonne et purifie.

Sans répondre davantage aux pharisiens, Jésus dit à Madeleine : « Ta foi t’a sauvée ; vas en paix. » Il n’ajoute point ce qu’il dit au paralytique, ce qu’il dira plus tard à la femme adultère : « Ne péchez plus. » Elle aime, il n’a plus rien à lui dire.

Cette pécheresse est la même que Madeleine de laquelle il est ailleurs écrit que Notre-Seigneur l’avait délivrée de sept démons, la même aussi que Marie-Madeleine, sœur de Lazare et de Marthe, de qui Jésus dira qu’elle a choisi la meilleure part. Elle sera au Calvaire à côté de Marie et de Jean, les deux vases très purs de la sainte virginité ; elle y sera comme la réalité des promesses d’immense miséricorde dont Thamar et Rahab, aïeules du Messie, étaient la figure. Ressuscitée de la grâce, elle aura encore la gloire d’être la première entre les disciples qui verra Jésus victorieux sortir du tombeau. Et l’Eglise, instruite et conduite par l’Esprit-Saint, chante, à la fête de l’Assomption de la très sainte Vierge, l’évangile où il est rapporté que Marie, assise aux pieds du Seigneur, restait à l’écouter. Telle est cette femme, type touchant et sublime entre tant d’autres que Jésus a créés et donnés pour jamais à la terre, en pétrissant de ses mains et de son sang la fange de l’humanité. »

La scène de l’Évangile qui inspira cette belle page à Louis Veuillot, n’est pas la seule qui nous révèle le cœur de Madeleine. Entre toutes, celle de la première apparition de Jésus glorieux doit trouver ici sa place. Le surlendemain de la mort du Sauveur, Marie-Madeleine se rend avant le jour au sépulcre. Elle voit la pierre tombale écartée. En toute hâte elle va prévenir Simon-Pierre et l’autre disciple que Jésus aimait : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, » leur dit-elle, « et nous ne savons où on l’a placé. » Les deux disciples courent au Calvaire, constatent le fait et se retirent. Madeleine, revenue au tombeau, ne pouvait se résoudre à le quitter. Elle se tenait à l’entrée, fondant en larmes. Dans sa douleur, elle se penche pour regarder dans l’intérieur du sépulcre. Elle voit alors deux anges vêtus de blanc, assis à la place qu’avait occupée le corps, l’un à la tête et l’autre aux pieds. « Femme, » lui disent-ils, « pourquoi pleurez-vous ?» — « C’est qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l’a mis. » Puis elle se retourne, et derrière elle, mais sans se rendre compte que ce fût lui, elle aperçoit Jésus qui se tenait debout. « Femme, » lui demande-t-il, « pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Elle suppose que c’est le jardinier. « Seigneur, » répond-elle, « si c’est vous qui l’avez enlevé d’ici, dites-moi où vous l’avez déposé, afin que je l’emporte. »

La voix de Jésus prononce alors ce mot : «  Marie ! » Elle, le reconnaissant soudain, se précipite vers lui et s’écrie : « Mon bon Maître ! » — « Ne me touche pas, » lui dit Jésus ; « je ne monte pas encore vers mon Père. Va trouver mes frères et dis-leur que je monterai bientôt vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. »

Marie-Madeleine revint donc trouver les disciples : « J’ai vu le Seigneur ! » s’écria-t-elle. « Voilà les paroles qu’il m’a dites. »

Avant de remonter au ciel, Notre-Seigneur voulut revoir Béthanie, la maison où il avait souvent reçu les devoirs de l’hospitalité. Lorsqu’il en sortit pour son ascension, Marthe et Madeleine durent le suivre jusqu’à la montagne des Oliviers, afin de recevoir avec les autres disciples sa dernière bénédiction.

Après le martyre de saint Etienne, la persécution des Juifs fut si violente à Jérusalem, que tous les fidèles en sortirent, excepté les apôtres, Madeleine alla passer quelque temps en Galilée. L’orage passé, elle retourna dans la ville sainte. L’an 45, les Juifs se saisirent de Madeleine, de son frère Lazare le ressuscité, de Marthe sa sœur et les embarquèrent, dans !e dessein de les faire périr, sur un vaisseau dépouillé de tousses agrès. Saint Maximin, l’un des soixante-douze disciples du Sauveur, Sydoine, que l’on croit être l’aveugle-né de l’évangile, et plusieurs autres, partagèrent leur sort. Jamais vaisseau ne fit plus heureuse navigation. Il vint aborder à Marseille. Un si grand miracle toucha les habitants de cette ville. Les exiles furent reçus avec honneur, et ils plantèrent dans toute la Provence le drapeau de Jésus-Christ. Saint Maximin fut évêque d’Aix, et saint Lazare de Marseille ; Marthe assembla dans Tarascon une communauté de vierges, dont elle fut la mère ; Madeleine, l’amante de la contemplation, se retira dans la solitude. On montre dans l’église Saint-Victor de Marseille une grotte où l’on dit qu’elle passait les nuits en prière ; on assure qu’aux Aigualades, à deux milles delà ville, une autre grotte fut sa première retraite. Ces lieux n’étaient pas assez solitaires : Madeleine les abandonna pour une haute montagne, absolument déserte, entre Toulon, Aix et Marseille. Là, elle fit sa demeure d’une caverne, la Sainte-Baume, au milieu d’un roc escarpé. Elle y vécut environ trente ans, n’ayant pour nourriture que l’amour de son Dieu, pour breuvage que les larmes de la pénitence.

Le temps de sa mort approchait. Les anges, qui la visitaient chaque jour, la transportèrent à Aix dans l’oratoire de saint-Maximin. Toute baignée des larmes que lui tiraient la joie et l’amour, elle demande au bienheureux évêque le corps adorable de son Jésus, puis elle expire dans l’oratoire même, en présence du pontife et de son clergé.

Pendant la Révolution, l’église bâtie à la Sainte-Baume fut détruite ; un sacristain sauva le chef de la sainte, où restait encore de la chair à l’endroit touché par Notre Seigneur le jour de sa résurrection, lorsqu’il dit à la sainte : Noli me tangere.

Pendant les Cent-jours, le maréchal Brune avait de nouveau profané la Sainte-Baume : on vit une punition de Dieu dans la mort qu’il eut bientôt à subir de la fureur populaire ; son cadavre fut jeté dans le Rhône.

Réflexion pratique

Âmes tendres qui avez imité Madeleine dans ses faiblesses, transformez comme elle votre amour, et il vous transformera.

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