Lazare, ainsi que Marthe et Marie, ses sœurs, demeuraient à Béthanie, petite ville qui était à deux milles de Jérusalem, et un peu au delà de la montagne des Oliviers.
Le Sauveur, qui d’abord avait sa résidence ordinaire dans la Galilée, s’étant fixé principalement en Judée à la troisième année de sa mission publique, honora plusieurs fois de sa présence la maison de cette sainte famille. On croit que Marthe était plus âgée que Marie et Lazare, et que c’était elle qui prenait soin des affaires domestiques. Il parait par l’histoire de la résurrection de Lazare que cette famille était une des plus distinguées du pays.
Dans la première visite de Jésus-Christ, Marthe fit paraître un grand empressement pour le bien recevoir et le servir de ses propres mains. Elle voulut se charger elle-même du soin de tous les préparatifs nécessaires en cette circonstance. Cependant Marie restait assise aux pieds de Jésus, écoutant les discours qui sortaient de sa bouche divine. Elle y trouvait une telle douceur, qu’elle n’était occupée d’aucune autre pensée. Tous les moments lui paraissaient précieux, et rien ne pouvait la distraire. Elle sentait son cœur s’enflammer de plus en plus, et elle était en état de dire avec l’épouse du Cantique : Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui, lui qui se nourrit au milieu des lis, c’est-à-dire avec les âmes chastes ; ou parmi les fleurs odoriférantes des vertus.
Marthe ne croyait pas pouvoir assez témoigner à Jésus le vif empressement dont elle était animée. Elle eût souhaité que toutes les créatures se fussent réunies à elle pour servir l’hôte adorable qui avait daigné venir dans sa maison ; elle se plaignit donc à lui de ce que sa sœur ne venait pas l’aider. Le Sauveur ne désapprouva pas le principe de sa sollicitude ; mais il lui fit comprendre qu’elle ne devait pas condamner sa sœur, qui s’attachait à ce qu’il y avait de plus important, à l’avancement spirituel de son âme. Marthe, Marthe, lui dit-il ; vous vous empressez et vous vous troublez dans le soin de beaucoup de choses : une seule chose cependant est nécessaire. Ce n’était pas qu’il voulût donner à entendre qu’on doit négliger les devoirs qui se terminent au corps : il voulait seulement ce que nous apprissions de là que les fonctions spirituelles méritent la préférence sur les corporelles, même sanctifiées paf la pureté du motif, lorsque les unes et les autres se trouvent en concurrence. Les secondes, à la vérité, changent de nature quand la gloire de Dieu en est l’objet : mais l’âme y est souvent exposée à être distraite, surtout dans le cours de l’action. Tâchons de ressembler aux anges, qui, en exerçant les fonctions extérieures dont ils sont chargés, ne perdent jamais de vue la présence de Dieu et l’adorent sans cesse ; mais, quoi que nous fassions, nous ne serons pas toujours parfaitement maîtres de notre attention. Ceux, au contraire, qui s’occupent de la contemplation ne courent point les mêmes risques : ils sont unis à Dieu d’une manière plus continue et plus parfaite. Ils font comme l’apprentissage de l’emploi qu’ils auront éternellement dans le ciel. C’est en ce sens que, Jésus-Christ loua la conduite de Marie, en assurant qu’elle avait choisi la meilleure part, et que jamais on ne la lui ravirait ; il ajouta même qu’une seule chose est nécessaire, et cette seule chose, c’est de rapporter tout ce que nous faisons à la gloire de Dieu et à notre salut éternel.
Ce qui prouve combien Notre-Seigneur Jésus-Christ aimait la famille de Marthe, c’est la résurrection de Lazare. Lorsque Lazare fut tombé dans la maladie dont il mourut, ses sœurs en informèrent le Sauveur, qui était alors en Galilée. Elles ne lui firent dire que ces paroles : Celui que vous aimez est malade : elles savaient bien qu’il n’en faudrait pas davantage pour exciter sa compassion et pour l’attendrir sur leur malheur.
Jésus n’eut pas plutôt appris le sujet de la douleur de Marthe et de Marie, que son cœur fut ému de compassion. Cependant il différa quelques jours de venir, tant pour éprouver la vertu des sœurs de Lazare que pour manifester sa gloire avec plus d’éclat. Comme il approchait de Béthanie, Marthe. instruite de son arrivée, s’empressa d’aller au-devant de lui, et lui dit : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait point mort. Jésus la rassura, et lui fit espérer que son frère ressusciterait. Marthe ne voulut pas profiter seule du bonheur qu’elle avait eu d’entretenir en particulier le Sauveur ; elle alla avertir sa sœur que Jésus était arrivé, et qu’il la demandait. Celle-ci courut aussitôt au-devant de son divin maître, et se jeta à ses pieds fondant en larmes. Elle était accompagnée d’un grand nombre de Juifs qui étaient venus consoler les deux sœurs de la mort de leur frère, et qui versaient aussi des larmes.
Ce triste spectacle toucha tellement le Sauveur, que, se laissant aller à la douleur, il voulut montrer qu’il était homme en faisant paraître du trouble et de l’altération dans son visage et dans tout son extérieur. Il demanda où l’on avait mis le corps de Lazare. On lui répondit : Seigneur, venez et voyez. Il alla donc au tombeau avec eux, et il commanda qu’on ôtât la pierre qui le fermait. Marthe lui représenta qu’il y avait déjà quatre jours que le corps était dans le tombeau, et qu’il devait sentir mauvais. Ne vous ai-je pas dit, répliqua Jésus, que si vous croyez, vous verrez la gloire de Dieu ? Ensuite, ayant adressé une prière à son Père, il cria à haute voix : Lazare, sortez dehors. A l’instant Lazare se leva, les pieds et les mains liés avec des bandes et la tête enveloppée d’un suaire. Jésus commanda qu on le déliât et qu’on le laissât aller. Plusieurs d’entre les Juifs qui étaient venus voir Marthe et Marie, ayant été témoins d’un miracle aussi éclatant, crurent en Jésus, et se mirent au nombre de ses disciples ; mais les princes des prêtres et les pharisiens en ayant été informés, s’assemblèrent et résolurent de faire mourir non-seulement le Sauveur, mais même Lazare, afin que la présence de ce dernier ne rappelât pas le miracle opéré en sa personne. Il ne paraît pas cependant qu’ils aient exécuté le dessein formé contre Lazare.
Peu de temps après, et six jours avant la Pâque, Jésus étant venu en Béthanie, on lui donna un grand souper. Lazare était à table avec lui, et Marthe le servait. Marie saisit cette occasion pour donner au Sauveur une marque de la profonde vénération qu’elle avait pour lui ; elle prit un vase rempli d’excellents parfums et le versa sur ses pieds, les essuyant avec ses cheveux.
Judas Iscariote, qui était présent, regarda ces parfums comme perdus, et prétendit qu’il eût mieux valu les vendre et en donner de prix aux pauvres. Ce n’était pas qu’il s’intéressât beaucoup au sort des malheureux : mais c’est que, portant la bourse, il convertissait quelquefois à son usage les biens communs, parce qu’il était un voleur. On voit par là avec combien de facilité l’avarice se glisse dans le cœur et combien l’avare est ingénieux à trouver des excuses pour se tromper lui-même. Tandis que la charité interprète en bonne part les actions du prochain, la passion entraîne toujours dans des jugements téméraires. Judas, en condamnant ce que Marie venait de faire, condamnait un acte de religion très-héroïque ; mais Jésus prit la défense de cette sainte femme ; il considérait non les parfums en eux-mêmes, mais le motif qui les avait fait répandre. Il les reçut comme un gage de l’amour dont Marie était embrasée pour lui, et comme un embaumement anticipé de son Corps qui devait être bientôt livré à la fureur des Juifs ; il déclara même que cette action, condamnée par Judas, serait un sujet d’édification dans tous les lieux où l’on précherait l’Évangile.
L’Évangile n’apprend ni ce que firent ni ce que devinrent Lazare et ses sœurs depuis ce temps-là.
Pratiques
Pratiquons la vertu et les bonnes œuvres, si nous voulons que le Très-Haut répande sur nous ses miséricordes.
Prière
Donnez-nous, Seigneur, de marcher sur la terre dans vos voies, afin que nous puissions nous trouver au milieu des élus, lorsqu’il vous plaira de nous appeler à vous.