Extraits : Pensées sur les plus importantes vérités de la religion, et sur les principaux devoirs du Christianisme
De Mr Humbert, prêtre-missionnaire – 1850
CHAPITRE VI
L’aveuglement de ceux qui négligent leur salut
I. Tout ce que l’Homme-Dieu a souffert pour notre salut, tout ce que les saints ont fait pour être eux-mêmes sauvés, doit nous apprendre que le salut de notre âme est d’une telle conséquence, qu’on devrait être prêt à tout sacrifier pour la sauver ; mais, par un étrange aveuglement, on dirait qu’on ne travaille que pour la rendre malheureuse.
L’homme sage ne goûte de véritables plaisirs ici-bas, et n’y trouve rien de solide que ce qui procure le salut ; mais l’homme insensé s’aveugle jusqu’à ne trouver de plaisir qu’à se perdre. Il y aurait de la folie d’exposer son âme et de la risquer pour devenir maître du monde entier ; et tous les jours on l’expose à la tentation pour des bagatelles, pour un plaisir frivole, pour plaire à une créature, pour le vil intérêt d’un héritage, où pour une fumée d’honneur.
II. Si du moins on avait pour son âme autant d’empressement que pour le reste ; mais par un aveuglement profond, on préfère tout à son âme. Fait-on pour la sauver ce qu’on fait pour s’enrichir, et pour conserver la santé du corps ? Que de soins pour sa fortune, pour l’entretien d’une vie misérable qui ne durera que peu de jours, tandis qu’à peine donne-t-on quelques moments à son âme ! Cette pensée fit une telle impression sur l’esprit d’un secrétaire – d’état à la mort, qu’il s’écria en soupirant : Oh ! que j’ai été insensé ! j’ai écrit plus de vingt rames de papier pour le service de mon prince, et je n’ai pas écrit une ligne pour le salut de mon âme !
Est-on malade, on s’inquiète, on s’afflige. Est-on en péché mortel, on n’est ni touché, ni affligé ; on se divertit, on ne pense ni à son âme qui est morte, ni à Dieu qui doit la juger – les semaines, les années s’écoulent sans qu’on pense à la tirer de l’abîme. On choisit le plus habile médecin pour guérir le corps ; mais pour l’âme, on choisit souvent un confesseur qui, loin de la guérir, la laisse dans la langueur de la mort. On s’applique à conserver un corps de péché qui doit bientôt pourrir ; et à peine pense-t-on à sanctifier une âme immortelle qui doit régner toujours.
On veut que tout ce qui sert au corps et à la vie, la nourriture, les meubles, les domestiques soient excellents ; mais pour l’âme, tout paraît indifférent. On dirait qu’elle n’est dans le corps que pour en être l’esclave. Elle languit pendant que le corps a ses plaisirs ; elle est morte, souillée de crimes, pendant que le corps est flatté. Ô aveuglement ! Un homme ne serait pas insensé, qui aurait plus de soin de ses habits que de son corps ? Et tous les jours on en voit qui ont plus de soin de leurs vêtements, de leurs animaux et de leurs terres, que de leurs âmes. Ô enfants des hommes ! jusqu’à quand aurez-vous le cœur appesanti ? Pourquoi aimer tant la vanité des choses de la terre ?
À quoi aboutissent vos empressements pour les biens, pour les plaisirs et les honneurs du monde ? Serait-ce donc une grande fortune pour vous d’être en possession de toutes les richesses de la terre, si par là vous deviez être damné ? Est-ce aujourd’hui un sujet de consolation à Ceux qui sont dans les feux de l’autre vie, d’avoir vécu en celle-ci dans l’abondance et les délices ? Hélas ! quand ils auraient été les maîtres du monde, ils n’en sont à présent que plus malheureux.
Apprenez à penser sur l’affaire du salut, comme un homme sensé doit penser ; méditez tous les jours ces paroles de Jésus-Christ : Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il perd son âme ? Quid prodest homini, si mundum universum lucretur, animæ vero suæ detrimentum patiatur ? (Matt. 16). Peut-on dire qu’on gagne quand on perd son âme ? dit saint Eucher, puisqu’on a tout perdu quand elle est perdue : Ubi salutis damnum est, illic utiqué jam lucrum nullum est.
RÉSOLUTIONS
- Mon salut sera désormais l’affaire dont la considération réglera toutes les autres affaires de ma vie.
- Et, à l’exemple du grand Apôtre, je regarderai à l’avenir le monde avec ses bonheurs, ses biens et ses plaisirs, comme de la boue.
Ô mon Dieu ! détachez-moi des choses qui passent, et remplissez mon cœur de l'amour des biens éternels.
CHAPITRE VII
Faux raisonnement sur le salut
I. PERSONNE ici-bas ne sait s’il est prédestiné, s’il est un vase de miséricorde qui sera élu, où un vase de colère qui sera brisé : Nescit homo utrùm amore aut odio dignus sit. (Eccle. 9). C’est un secret réserve à Dieu seul. Dans cette cruelle incertitude, l’homme sage travaille à son salut avec crainte, dans la confiance que Dieu lui accordera sa miséricorde.
Mais voici le ridicule raisonnement dont l’esprit de ténèbres amuse les mondains : Ou je suis prédestiné, ou je ne le suis pas. Si je le suis, quelques crimes que je commette je serai sauvé. Si je ne suis pas prédestiné, je serai donc, quoi que je fasse, infailliblement damné ; ainsi, concluent-ils, il est indifférent de faire le bien ou le mal pour être sauvé.
Ce raisonnement est affreux ; il faut avoir perdu le bon sens pour fonder sa conduite sur un raisonnement si frivole.
Si Dieu prédestine les uns, s’il réprouve les autres, c’est parce qu’ils auront bien ou mal vécu. Ainsi, si vous êtes un jour réprouvé, c’est parce que vous le mériterez par votre vie et par votre mort dans le péché mortel. Vivez donc de manière que vous puissiez mourir en grâce, et vous ne serez point réprouvé. De même si vous êtes prédestiné, c’est parce que Dieu vous accordera de mourir dans sa grâce après avoir mené une vie sainte. Vivez donc dans la sainteté, pour mourir saintement, et vous serez prédestiné.
Quoique Dieu veuille sauver tous les hommes, sa volonté seule ne rend pas les hommes saints. Il ne veut donner la gloire qu’à ceux qui auront vécu dans l’innocence ou la pénitence, de même qu’il ne veut condamner à l’enfer que ceux qui auront vécu ou qui seront morts dans le péché. S’il vous y condamne, c’est parce que vous le mériterez , et non pas précisément parce qu’il le veut.
Lorsqu’un juge condamne un criminel selon la loi, ce n’est ni le juge ni la loi précisément qui sont cause de la condamnation, mais le crime qui a été commis ; de même ce n’est pas précisément parce qu’il lui plait que Dieu condamne à l’enfer, c’est parce qu’on le mérite. Un juge qui prononce la sentence ne dit pas : Je te condamne parce que je le veux ; mais : Je te condamne parce que tu le mérites. Raisonnons de même des jugements de Dieu.
Quoiqu’il sache ce que nous ferons, cette prévision de Dieu n’ôte rien à notre liberté, parce que la connaissance de Dieu n’est point la cause des événements. Les choses arrivent comme Dieu les a prévues, mais elles n’arrivent pas parce qu’il les a prévues : au contraire, il les a prévues et il les connaît parce qu’’elles arriveront, dit saint Augustin. Quand je vois un voyageur qui s’égare, ce n’est point ma connaissance qui est la cause de son égarement, mais l’ignorance de ce voyageur qui ne sait pas la route. De même, quand Dieu prévoit notre égarement et notre malheur éternel, ce n’est point à lui, mais à nous qu’il faut l’attribuer.
II. Le salut dépend de Dieu qui nous appelle tous et qui nous aide tous par sa grâce, mais il dépend aussi de notre coopération. Ainsi, quand vous sauriez par révélation que vous serez sauvé, vous ne devriez pas pour cela cesser de bien vivre. Un laboureur cesse-t-il de cultiver la terre parce qu’il connaît que la récolte sera abondante ? N’est-ce pas parce qu’il espère la récolte, qu’il se détermine à semer ?
Oh ! que l’esprit de l’homme est bizarre quand il se livre à ses égarements ! On dirait que certaines gens n’ont de l’esprit que pour s’aveugler sur le salut, tandis qu’ils raisonnent si prudemment sur les affaires du monde. Que répondriez-vous à celui qui lirait : Ou Dieu voit que je moissonnerai, ou il voit que je ne moissonnerai rien ; s’il voit que je moissonnerai, quoi qu’il arrive, je ferai la moisson ; ainsi je ne dois pas me mettre en peine de semer ? Raisonnement extravagant, diriez-vous. Dieu sait que vous moissonnerez, parce qu’il voit que vous aurez semé un grain qui poussera un germe et qui croîtra. Il voit que vous ne moissonnerez pas, si vous ne jetez pas de semence en terre. Raisonnons de même sur le salut. Semez dans le temps , et vous moissonnerez dans l’éternité.
Celui qui vous a fait sans vous, dit saint Augustin, ne vous sauvera pas sans vous. C’est pour cela que le démon tâche par ses tentations de nous perdre, en nous empêchant de coopérer à la grâce et aux desseins de Dieu, parce qu’il sait que, si notre prédestination dépend principalement de la grâce, il faut aussi notre coopération. Si Dieu ne nous sauve pas sans nous, le démon ne peut aussi nous perdre sans nous. S’il tâche de nous perdre, il ne tient qu’à nous de rendre ses efforts inutiles. C’est un chien furieux, qui peut aboyer, dit saint Augustin, mais qui ne peut mordre que ceux qui le veulent. Latrare potest, mordere non potest, nisi volentem. Ce n’est donc pas à la volonté de Dieu ni à la malice du démon, que nous devons attribuer notre perte , mais à notre négligence et à notre malice.
Voulez-vous être sauvé, faites ce que vous feriez si vous étiez assuré de l’être. Tâchez , dit saint Pierre, d’assurer votre prédestination par les bonnes œuvres. Satagite ut per bona opera certam vestram vocationem et electionem faciatis. (Ep. 2. 1). C’est en vain qu’on raisonne, qu’on pointille sur le mystère de la prédestination, il faudra toujours en venir à ce point : On ne moissonnera que ce que l’on aura semé.
RÉSOLUTIONS
- J’espérerai toujours pouvoir réussir dans la grande affaire de mon salut, aidé de la grâce divine.
- Mais aussi je ferai tout ce qui dépendra de moi pour correspondre aux grâces que le Seigneur daignera m’accorder dans sa miséricorde.
Ô mon Dieu ! je sais que la persévérance dans votre amour est un don spécial de votre grâce ; accordez-moi ce grand don, que je vous demanderai avec confiance tous les jours de ma vie.
Partie 1 – Partie 2 – Partie 3
Il n’y a de salut en aucun autre, car il n’y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés.