Après la mort et la sépulture de Notre-Seigneur, celle aussi des deux larrons crucifiés avec lui, les Juifs ne laissèrent pas plantées sur le Golgotha les croix où tous les trois avaient expiré.
Il les enlevèrent et, sans doute pressés par le temps, les jetèrent ensemble dans une citerne située à l’est de la sainte montagne, et dont assez vite on perdit le souvenir. Les chrétiens n’eurent aucune possibilité de recouvrer ce trésor, et, dit Tillemont, ce fut sans doute un bien ; car leurs persécuteurs, « qui prenaient toutes sortes de précautions pour empêcher que la foi de Jésus-Christ ne s’établît, n’auraient pu souffrir de voir honorer la Passion du Sauveur dans sa Croix. » Après avoir tout fait pour se mettre en possession de ce bois sacré, ils « n’auraient pas manqué de le mettre en pièces et de le brûler ». Il avait donc disparu ; on ne gardait aucune espérance de le retrouver. Un livre écrit au milieu du IIIème siècle en fait foi : « O bienheureuse Croix, y lit-on, sur laquelle Dieu fut couché, la terre ne te possédera pas ; mais tu embrasseras du regard l’immensité du ciel, lorsque le visage irrité et toujours jeune de Dieu lancera des éclairs. »
Les lieux saints eux-mêmes avaient été dérobés aux regards.
Après la révolte, cruellement réprimée, de Barchochebas, Hadrien avait enveloppé dans sa colère avec les juifs, les chrétiens, qui n’avaient cependant pris aucune part au soulèvement. En 135, il avait rasé le Temple et semé du sel sur ses ruines. En même temps il faisait niveler les deux hauteurs du Golgotha et du saint sépulcre et, sur le plateau ainsi obtenu, dresser deux statues, l’une de Jupiter et l’autre de Vénus.
Par ces constructions, il est vrai, demeuraient authentifiés les lieux témoins des plus augustes mystères de la foi. Lorsque, en 326, les Pères de Nicée demandèrent qu’il fût remédié à ces profanations, ils trouvèrent en Constantin les dispositions les plus favorables. Sa pieuse et sainte mère, Hélène, voulut s’associer aux réparations nécessaires. Malgré son grand âge, — elle touchait sans doute à quatre-vingts ans, — elle décida d’entreprendre un pèlerinage en Terre Sainte, afin d’y « remercier Dieu et le supplier pour son fils et ses petits-fils ». Elle partit à la fin de 326. La princesse fit ce long et pénible voyage « avec une ardeur toute juvénile », raconte Eusèbe de Césarée.
Arrivée en Judée, au milieu de l’attention universelle, de l’émoi du monde chrétien tout entier, elle vénéra la grotte de Bethléem et, sans aucun doute, les divers endroits où s’’attachait le souvenir de Notre-Seigneur, conservé par la tradition. Sur le lieu de la Nativité, elle érigea une basilique « d’une beauté merveilleuse et digne d’une éternelle mémoire ». Et puis elle vint à Jérusalem.
S’il ne fallait s’attacher qu’au seul récit d’Eusèbe, dans sa Vie de Consitantin, son rôle dans cette ville se serait borné à construire sur le mont des Oliviers une seconde basilique en l’honneur de l’Ascension. Car il ne fait nulle mention d’Hélène, quand il attribue à son héros l’érection du sanctuaire célèbre bâti sur le lieu de la Résurrection. Mais, d’une part, il ne dit rien non plus du Calvaire, déblayé et réuni au saint sépulcre dans un même monument, fait dont on ne saurait douter malgré son silence. Et, d’autre part, saint Ambroise, dans le discours qu’il prononça aux obsèques de l’empereur Théodose, affirme qu’Hélène chercha et trouva les instruments de la Passion du Sauveur. Et peut-on croire qu’il se serait laissé aller à présenter d’une façon si positive, au milieu d’une telle cérémonie, un fait dont il n’aurait pas eu la connaissance certaine ? Il le racontait moins de soixante-dix ans après l’événement.
Or voici ses paroles : « Pleine d’angoisse pour son fils, sur qui reposait le fardeau du monde romain, Hélène vint en hâte à Jérusalem, pour y chercher le lieu de la Passion de Notre Seigneur… Elle commença par visiter les lieux saints. Le Saint Esprit lui inspira de rechercher le bois de la Croix. Elle monta au Golgotha : « Voici le champ de bataille, dit-elle, où est la « Victoire ? Je cherche l’étendard du salut : je ne le vois pas. » Elle creuse le sol, elle en rejette les décombres. Et voici qu’elle découvre, mêlés, trois gibets qui avaient été renversés et enfouis par l’ennemi… Troublée, Hélène hésite : elle n’est qu’une femme. Mais l’Esprit-Saint lui rappelle qu’avec le Seigneur deux larrons furent crucifiés. Elle regarde la croix qui est entre les autres. Mais quoi ! en tombant, n’est-il pas arrivé que les trois croix aient été confondues, qu’elles aient changé de place ?
Elle relit l’Évangile ; elle voit que la croix du milieu portait l’inscription : JÉSUS DE NAZARETH, ROI DES JUIFS. Ainsi éclata la démonstration de la vérité et, grâce à son titre, fut reconnue la Croix salutaire. »
Là se borne le récit d’Ambroise. Six ou sept ans plus tard, Rufin, continuant la Chronique d’Eusèbe de Césarée ajoutait un détail qu’Ambroise ne rapporte pas, il est vrai. Mais l’orateur était-il obligé de tout dire ? Pour mieux s’assurer de la vérité, le patriarche Macaire, dans une chose de si grand intérêt, crut pouvoir demander à Dieu un miracle. Une femme de haut rang était à Jérusalem, malade, proche de la mort. Il fit apporter chez elle les trois croix ; et après une fervente prière, où il mettait Dieu en demeure de se porter garant de la vérité, il approcha de la malade la première, puis la seconde, sans aucun résultat. Mais au contact de la troisième, la guérison se produisit instantanée.
Sans doute une critique, que l’on peut estimer bien sévère, voit dans ce miracle le développement d’une légende ; elle a beau jeu d’alléguer, avec le silence d’Eusèbe, des récits postérieurs où s’est jouée l’imagination d’une piété qui s’exalte dans le merveilleux. Peut-être on est en droit, malgré son assurance, de continuer à croire ce que l’Église nous invite à lire avec respect dans le saint office de ce jour. Tillemont, peu crédule cependant, les Bollandistes, d’autres aussi l’ont pensé.
À la suite de cette découverte, d’après les Bollandistes encore et Tillemont, Constantin écrivit au patriarche de Jérusalem.
Il se félicitait que « le mémorial de la Passion, enfoui sous terre durant de si longues années », eût été rendu au jour; il estimait « ce lieu sacré, que dès le commencement une prédestination spéciale a sanctifié, plus saint encore, s’il se peut, pour avoir remis en lumière ce témoignage de la Passion du Sauveur.…. » Et dans ces expressions on peut à bon droit voir une allusion à la bienheureuse découverte. Il ordonnait donc au patriarche de faire élever sur le sommet du Golgotha une basilique qu’il voulait somptueuse autant que le méritait le glorieux mystère de la Résurrection.
Quoi qu’il en soit des controverses de détail, il reste hors de conteste que non seulement le culte de la sainte Croix, mais la Croix elle-même ne tarda pas à se répandre, si l’on peut dire, à travers le monde. Avant le milieu du siècle, saint Cyrille de Jérusalem parlait du « saint bois de la Croix, qu’aujourd’hui encore on montre ici près de nous ». Ailleurs il fait allusion à la dispersion, dans la chrétienté, de ses parcelles vénérées.
Une inscription de 359 mentionne, en Algérie, une de ces reliques. Vers la fin de ce même siècle, nous apprenons de saint Jean Chrysostome que beaucoup de gens, à Constantinople, en portaient à leur cou quelqu’une enchâssée dans l’or. Mélanie l’Ancienne faisait un de ces précieux cadeaux à saint Paulin de Nole. Depuis, de semblables parcelles ont été répandues en si grand nombre, que l’on serait tenté de croire, avec le même saint Paulin, que l’arbre saint ne diminuait pas, quel que fût le nombre des morceaux qu’on en détachait.
L’Église latine, en fêtant solennellement cette heureuse Invention, s’est portée garant de sa vérité, qui ne saurait plus être mise en doute par des chrétiens. Elle propose les saintes reliques de la Croix à leur vénération, vénération si particulière, qu’elle lui donne le nom d’adoration. Et c’est bien encore un témoignage de sa foi, la fête qu’elle célèbre en souvenir de la victoire qui, remportée par Héraclius en 628, lui rendit la sainte Croix tombée aux mains des Perses.
Ouvrage : Saints et Saintes de Dieu, Imprimatur 30 Décembre 1924
Un chrétien vénère la croix : elle est le signe et le gage de notre rédemption ; un chrétien écoute la croix : elle parle renoncements et sacrifices ; un chrétien chérit la croix et aime à l’embrasser : elle fut le tribunal de miséricorde pour le larron pénitent, et elle sera toujours le trône de l’amour divin.