Leurs rapports dans diverses religions avec les Prophétesses ; les hautes Magiciennes et les Dieux-démons.

Je surprendrais un grand nombre de personnes si je m’avisais de réclamer les fées comme appartenant à mon sujet. Eh quoi ! les fées ! ces êtres gracieux, poétiques, ravissants ; ces sources intarissables de surprises et de bienfaits. Mais vous n’y pensez pas en vérité !…

Fort au contraire ; c’est parce que j’y ai pensé que je le fais, et mon sujet veut au moins que je les mentionne.

Écartons d’une main sévère les prestiges du nom, de la poésie, de la fable ; et lorsque nous aurons déchiré la gaze sous laquelle percent et apparaissent les fictions, que nous restera-t-il des fées ? Rien, si ce n’est des divinités antiques, ou plutôt des prêtresses qui se confondaient et s’identifiaient jadis avec leurs déesses.

Eh bien, ces prêtresses redoutables, ce furent des prophétesses, ce furent de puissantes magiciennes. Et quant aux divinités auxquelles ma parole faisait allusion, de savants pères de l’Église nous affirment (voir en cet écrit , saint Jérôme , Vie de saint Hilarion) que les démons avaient trouvé leur compte à se manifester aux yeux des anciens sous la forme de dieux champêtres, dont la haute et bienveillante protection semblait s’étendre sur les bois, sur les hauts lieux, les campagnes, les eaux limpides et fécondantes… Une partie de ces divinités concorde si merveilleusement avec nos fées, si mes documents valent quelque créance, que des yeux de lynx ne nous seront nullement nécessaires pour en arracher la preuve.

Tombant d’accord avec quelques Pères de l’Église, certains savants nous disent de leur côté : Mais les fées, — qu’importe le nom, — ce sont les nymphes des temps antiques ! et gardez-vous de limiter l’étendue. de ce sens au monde gréco-oriental, au monde religieux de la vieille Rome.

Le Celte dégénéré adore en elles des génies et des déesses, le Scandinave les nomme Valkyries elles-aiment le sang et versent l’hydromel dans son Élysée (soit encore : Ourda, Vérandi et Shalda, parques scand., etc…). Chez le Perse, elles répondent au nom de Péri. Elles sont les femelles de ces Esprits que l’on y appelle les Dews, ce mot qui, de nos jours encore, signifie les démons, dans une langue congénère à celle des Perses (deuce, anglo-saxon). Enfin, le nom vulgaire que notre idiome leur conserve, dérive probablement du latin fari, du grec phémi, et de bien : plus haut encore ! Il caractérise en elles le don de la parole sacrée, le privilège de la voix prophétique ; aussi dut-il plutôt s’attacher aux fées qui pratiquèrent la haute magie, qu’à celles qui furent divinités ou démons.

Mais soyons rapide, car cela n’est pas un traité sur les fées ; ce ne doit être qu’une digression , et l’on nous permettra de chercher beaucoup moins à sacrifier aux grâces qu’à la vérité. Peut-être sera-t-il d’assez bon goût de la chercher dans notre patrie d’abord.

Que notre proue se tourne donc vers les îles où se forme et se développe la puissance des plus terribles druidesses. Sous l’influence de la divinité de ces lieux solitaires, la prêtresse, c’est-à-dire la magicienne qui la sert, est sans cesse à l’œuvre. Elle apprend, médite ou pratique. Plus tard, on ne la nommera plus que la fée, lorsque son rôle, pour se plier à des mœurs adoucies, se tempérera de quelque douceur.

Les îles sacrées où nous abordons annoncent ou bastionnent le littoral des Gaules et de la Grande-Bretagne ; et Démétrius, au dire de Plutarque, raconte qu’elles sont nommées les îles des Démons et des Demi-Dieux. Il y rencontra de rares habitants que les Bretons honoraient comme saints et inviolables. Il lui sembla qu’une horrible tempête eût attendu le contact de ses pas pour éclater et accroître la terreur que ces lieux inspirent. Mais la cause de ce sinistre, c’était la mort de l’un de ces démons ou demi-dieux, survenue à l’instant où il touchait le rivage. Car lorsque ces grandes âmes viennent à défaillir, l’air mugit et d’effroyables bouleversements ébranlent le monde. Souvent même, et fout à coup, l’air se trouve infecté de je ne sais quelles vapeurs, et ses atomes sèment au loin les germes de contagions mortelles. (Plutarque, Oracle)

L’île de Sain, ou de Sena, est la plus sacrée de ces îles sauvages ; qui ne le sait ? Située sur la côte occidentale de la basse Bretagne, elle tire son nom, de même que l’île des Semnites (Galli Senas vocant, dit Pomponius Mela. — Les druides ou saronides, second terme qui signifie, de même que le premier, les hommes du chêne, de Exomves, quercus. On les appelait encore senani ou semnothées, car leur langue est sœur du vieux grec. Les Indiens ont également une secte provenant des gymnosophistes, qui portent le nom de semnès. Hommes et femmes de cette secte lisent dans l’avenir; et celles-ci restent vierges à l’instar des plus hautes druidesses. Ce mot semnès, ou senès, signifie vénérable. Il est la racine de senet, chez les Gaulois, et de sénat chez les Latins ; et Diogène de Laërce dit que ces sortes de gymnosophistes étaient de la famille des mages, dont le nom se donnait aux druides, que l’on nommait aussi les serpents. — La fée Vouivre n’était que moitié serpent ; le haut de son corps était femme, et l’escarboucle étincelait sur son front. (Voir don Brésillac, don Martin, Religion des Gaules, T.I, p. 176 à 185, et mon ouvrage, Dieu et les dieux, Ou un Voyageur chrétien devant les objets primitifs des cultes anciens, les traditions et la fable ; — id., Religion des Gaules, T.II, p. 52 à 55; Académie celtique, n° 7, p. 31, etc. ; n° 8, p. 224-225, etc… etc. ) qui en est assez voisine, des prêtresses Semnès, ou Senès, par lesquelles elle est peuplée, et dont la grande divinité se nomme Nehelennia.—Ne-helennia, c’est-à-dire encore sous d’autres dénominations, Benzonia, Hérodias , Hélaunus, Séléné, la grande déesse Diane, ou Vénus-Uranie, le grand cabire de la navigation.

On ne sait, dans les Gaules, quel sombre et puissant génie inspire ces vierges druidesses et semble obéir à leur voix. Mais, dès que l’enthousiasme sacré les saisit et les transporte, ce ne sont plus les faibles femmes dont, l’instant auparavant, l’œil pouvait impunément caresser les formes. En elles, alors, plus rien de mortel ; elles grandissent, ce sont des géants, des monstres, des flammes, des fantômes. On les voit secouer en bondissant leur crinière de lion, et l’air est ébranlé de leurs rugissements ; ou bien, elles s’acheminent et bêlent innocemment sous la toison de l’agneau. C’est là le moment précis où la puissance de l’antique magie éclate à leur voix. Voyez alors comme l’avenir se dégage pour elles de ses mystères et se déroule à leurs yeux, pourvu que les consultants qui tentent de les aborder chassent de leur âme toute autre pensée que celle d’honorer l’oracle ; sinon malheur à la barque dont l’aviron va tout à l’heure les confier aux flots !

Rendues propices, elles touchent les maux et les guérissent. La vertu de leurs doigts égale celle de la verveine ou du guy que le chêne cède à la serpe d’or. Mais au frémissement convulsif de leurs lèvres, ciel et terre se mêlent, les flots et les vents ébranlent les fondements de l’île ; tout est mugissement et tourbillons, tout est feu, flamme et tonnerre, tout devient terreur et mort ! Eux seuls, les apôtres de Jésus-Christ le vainqueur des démons, se sentirent assez forts pour ne point reculer devant ces intraitables prêtresses de Nehelennia (Ou devant les prêtres du mont Hélaunus, dans le Gévaudan : oracle du même Dieu, qui se tut en présence des reliques de saint Hilaire de Poitiers, déposées par l’évêque de Mende vers la fin du IV° siècle ; — id. Académie celtique).

Mais ce ne fut point une petite affaire de lutter contre cette reine des cieux, cette Nehelennia, cette Hérodias, cette Benzonia, cette Lune en un mot, qui tantôt éclaire les nuits de ses froides splendeurs, et tantôt éteint dans les nuages son mystique flambeau…. Capricieuse et fantasque autant que le sont les Esprits de ceux qu’elle possède, et que l’on nomme pour cette raison les lunatiques (nom des possédés), elle prenait plaisir à tracasser et à molester les gens.

Insaisissable, invisible, elle les poursuivait quelquefois, en les fouettant, jusque sous les voûtes des églises. Ou bien ; au contraire , elle les choyait ; et dans le silence auquel sa divinité préside, elle versait dans leur sein de sages et d’utiles conseils. Cependant, si ses rayons faisaient luire quelque sagesse au milieu des ténèbres de la raison des hommes, bien plus souvent encore, elle ne les visitait que pour les frapper d’aveuglements bizarres.

Il faut savoir avec quelle force s’élève Burchard, savant canoniste du XIII° siècle, contre les femmes de son temps, qui se prêtaient, sous les auspices de cette déesse , aux odieux commerces de la sorcellerie. Prêtons l’oreille :

Les initiés s’entretenaient de démons féminins,—ou à forme de femme, — dont l’habileté suprême consistait à éventer, pour se les associer, les personnes du sexe dans lesquelles elles avaient pressenti des dispositions semblables aux leurs. — Après que la nuit avait fermé le cercle de l’horizon, la troupe maligne, ayant en tête sa reine et souveraine, chevauchait hardiment dans les airs. Parmi ces cavalières étranges, les unes enfourchaient effrontément d’horribles bêtes, tandis que les autres se laissaient prendre et emporter dans l’espace par le bâton du balai domestique. Mais avant d’être admis dans la Holda, c’est-à-dire dans la troupe vagabonde, il était de rigoureuse formalité pour les récipiendaires de se vouer sans réserve à la souveraine des Sabbats, à Nehelennia, déesse des nuits : Ejus jussionibus velut dominæ obedire, et , certis noctibus, ad ejus servitium evocari. Ajoutons que cette obéissance aveugle obtenait sa prompte récompense ; car, à peine était-elle formulée que les femmes, dont le corps restait ou semblait rester sournoisement étendu dans le lit conjugal à côté de leurs maris, acquéraient la liberté de s’échapper inaperçues, en dépit des portes closes et des verroux. Elles s’évaporaient en quelque sorte (voir le fantôme du berger de Cideville) ; elles s’élevaient dans les nues, elles y volaient, y tourbillonnaient ; elles jouissaient du bonheur des déesses, et un affreux pouvoir leur était dévolu pour se livrer aux lâches docteurs de la vengeance. J’omets ici de fort curieux détails, dans la crainte d’allonger indéfiniment nos pages. Mais il faut dire qu’une fois enrôlées dans la Holda, les initiées se dépouillaient du droit de se refuser à l’obéissance. Enchaînées par un invisible lien, elles se sentaient sorcières en dépit d’elles-mêmes ! Une indomptable volonté les assujettissait à fréquenter les assemblées, dans l’équipage caractéristique de leur profession. Et, gardons-nous bien de l’oublier, ces sorcières étaient, dans l’origine, des prêtresses, des druidesses ou des fées !

Ce sont là les sorcières que , dans le VIe siècle, Grégoire de Tours appelle des Pythies ou des Pythonisses ; et rien que ce terme suffit à peindre ce qu’elles étaient aux yeux du saint évêque.

Les capitulaires de Dagobert, en 630, et ceux de Charlemagne, près de deux siècles après, les nomment Striæ, Genichniales ou Herbariæ, à cause des herbes.dont elles se servaient, et dont cet opuscule fait observer que saint Augustin, d’accord avec les théurges, connut et signala l’usage, comme signe et moyen magique.

Les magnétiseurs transcendants, dont les livres consignent une multitude de faits analogues à ceux que les docteurs de l’Église ont décrits, et que nous pouvons lire dans l’histoire sérieuse des fées et des sorcières, entraîneront sans doute un certain nombre de personnes à déclarer que, tant de croyances similaires, dans tous les temps et chez tous les peuples, ne peuvent avoir eu pour simple et unique base un néant de vérité. On commence à reconnaître moins de puissance aux vapeurs de l’imagination qu’aux fumées de l’orgueil, qui obscurcissent le cerveau de tant de gens éminents dans telle ou telle science, mais, aussi trop faibles de vue ou de caractère, pour signaler ou pour accueillir la vérité, pour lui rendre foi et hommage, soit aux pieds d’une crèche, soit sous la fausse livrée du ridicule ou de l’impossible.

Veuillons permettre à une digression de quelques lignes de nous rappeler, sous le nom de M. Sismondi, que les terreurs du surnaturel n’assiégèrent pas sous une forme unique les peuples de l’intrépide Germanie.

« Radebode ne craint rien de ce qui peut mourir ; mais à quoi sert le courage contre ce qui est déjà mort !… Nous autres Germains, nous avons souvent vu l’ombre du mort sortir de son sépulcre, quand elle a quelque vengeance à réclamer. Malheur’ alors à celui qui la rencontre, car elle souffre et veut faire souffrir. L’ombre du plus bienfaisant des hommes ne revient sur la terre qu’avec le désir de nuire. Son regard seul glace le sang, son souffle fait pénétrer la mort dans vos poumons ; s’il parle, c’est pour vous trahir, et s’il conseille, c’est pour vous perdre. » (Julia Severa, vol. II, p. 29, 30, livre animé d’un esprit hostile contre le clergé.)

Les revenants, les sabbats, la sorcellerie, la magie, le sacerdoce, la féerie, les dieux-démons, toutes ces idées se liaient donc dans l’esprit de l’antiquité, elles s’harmonisaient dans la pensée de nos pères ; et quelle que soit l’énormité des exagérations humaines, il est bien difficile de ne pas accorder sur ce terrain une large part à la vérité. Mais cherchons à découvrir un peu plus au nord, et, si le cœur nous en dit, chez les Écossais, nos presque voisins, de quelle sorte l’idée des fées s’identifiait avec celle que nous nous formons des Esprits de malice.

Sous la partie de la zone septentrionale que peuplèrent les Scandinaves et les Écossais, le pays des fées, c’est la terre des Elfes, Elfland, Elfcourt ; et ce nom figure en tête de la kyrielle de ceux que mille bouches leur assignent.

Les fées ont, chez ces peuples, plutôt l’apparence de la bonté que la bonté même, quoi qu’en dise l’appellation de bonnes gens, good wights, par laquelle on les désigne. Leur race est fantasque et capricieuse, et rien n’est en elles plus décevant que les dehors. Elles sont du nombre des Esprits qui aiment à dissimuler et à parer leur laideur ; et leur goût, tout en s’embellissant, est de se donner la ressemblance d’une personne actuellement vivante. Mais opposez toutes vos résistances à leurs séductions et à la perfidie de leurs bienfaits, car elles ne recherchent le commerce de l’homme que pour lui nuire ; elles ne vous attirent que pour votre ruine, et leur but général est de vous circonvenir et de vous enlever. Vous devenez leur proie vivante, vous disparaissez alors et, souvent, c’est à tout jamais. Ou bien , les têtes de leurs flèches vous frappent et, sous des coups invisibles, vous tombez abattu (Le fameux Elf arrow head, ou tête de flèche du nord, rappelle les démons du psaume 90 : Non timebis a sagitta volante. Plus bas je vois : et a verbo aspero, c’est-à-dire le sort jeté par des paroles ; puis ce sont les démons de toutes les heures : A timore nocturno ; a negotio perambulante in tenebris ; ab incursu et dæmonio meridiano… Ce psaume reconnaît donc assez clairement la sorcellerie, les fantômes et les différents relais des démons, ces admirables chasseurs qui nous poursuivent et nous assiégent. On le chante à complies. —Saint Jérôme, Dissert. sur les démons, bible Vence-Drach, vol. VIII, p. 263, donne le nom de Rescheph au prince des démons ; ce terme signifie : charbons allumés, étincelles et flèche).

Écoutez le peuple, il vous dira que, commettre un crime, que prêter sa personne à une mauvaise action, c’est donner pouvoir aux fées sur soi-même ; le ciel le permet ainsi. Souvent même il suffit, pour devenir leur proie, de s’endormir sur une des nombreuses hauteurs que l’opinion leur consacre. Ces hauts lieux, fairy mounts, sont leur domaine ; elles fondent sur le profane qui ne peut s’y aventurer sans les braver : heureux sera-t-il si elles se contentent de le transporter à travers les airs à quinze ou vingt lieues de distance, arborant en route son bonnet ou son chapeau sur quelque clocher, comme un des jalons de son trajet.

Vous, mères , tremblez surtout , car elles s’acharnent de préférence sur les enfants ; et, ce qui va sans dire , sur ceux que le baptême n’a point arrachés à leur puissance, en les donnant au Christ. Elles passent alors pour les élever comme s’ils appartenaient à leur propre famille, et voici pourquoi. C’est que forcées, chaque année, de donner ou de rendre à l’enfer quelques individus de leur race, elles trompent les percepteurs de ce tribut en livrant, au lieu des leurs, des créatures humaines formées et dressées à leur image.

Mais il est un jour par semaine où leur sort les condamne à éprouver les terreurs qu’elles inspirent à ceux qui ont le secret de leur perversité. Ce jour est celui que l’Église consacre à la vierge sainte ; c’est le samedi. Sa lumière luit à peine que chacune d’elles, bon gré, mal gré, revêt l’apparence d’un animal vivant, d’un objet inanimé. Cette taupe, cette chauve-souris, cette biche, ce crapaud, cette épée, cet arbre, ce manteau, ce sont des fées, à l’état latent. Frappez, écrasez , abattez; si l’animal est atteint, s’il reçoit une profonde blessure, si l’arbre gémit sous la cognée, si le manteau déchiré s’entr’ouvre, si la main d’un brave ébrèche ou brise l’épée , la fée souffre, elle subit d’affreuses tortures ; car sa personne est l’objet même que brise ou que massacre votre bras, vengeur, peut-être, à son insu !

Dieu me garde d’énumérer la multitude des noms par lesquels la langue humaine désigne les fées : Drows, Duergars, Skows, Biergen-Trolds, Elves, Fairies, Fawnes, etc. Je n’en finirais point si je voulais tout dire, et ma parole aurait moins d’harmonie que de richesse. Mais, ce que je dois faire observer, c’est que le séjour favori de ces êtres à double face est aux lieux où se complaisaient à résider les dieux de l’antiquité, les pontifes d’un grand nombre de cultes anciens, et surtout ceux du culte druidique. Cherchez, si vous ne craignez point qu’elles châtient votre témérité, cherchez les plus affreux escarpements, les rochers sourcilleux, les sombres cavernes, les galeries que la nature a creusées aux flancs des monts ; et là, vous pourrez surprendre et contempler ceux que l’on a continué d’appeler, comme du temps de l’idolâtrie, les Esprits des bois et des montagnes ; ils répondent au nom infernal de peuple souterrain, et l’éternelle agitation à laquelle leur perversité les condamne , les fit dénommer la troupe sans repos (The restless crew, l’équipage sans repos ; Crew, – équipage de navire.). Écoutez, écoutez, un affreux bruit d’ouragan fait siffler et mugir l’air ; il n’y a pas à s’y tromper, elles arrivent ! Dérobons-nous à temps ; c’est le bruit qui signale leur venue !

Que si, par hasard, vous vous heurtez ailleurs à ces êtres fantasques, ce sera sans doute encore dans ces lieux que les théologiens nous disent être de préférence hantés par les démons, ceux que les débordements de l’homme ont souillés, ceux que l’effusion du sang humain a rougis. Ou bien demandez aux arbres et aux ruisseaux leurs dryades et leurs naïades ; dites à la source, dites à la pierre, dites aux chênes druidiques d’ouvrir leur cœur ou leur miroir pour vous révéler la divinité qui les anime, et les fées encore vous surprendront par leur aspect. Les dieux, les démons, les génies, les pontifes et les fées, tout cela se lie donc évidemment dans l’histoire des religions, et ce méandre, cachant une partie de sa langueur sous ses propres replis, ne forme qu’une série de chaînons forgés du même métal.

Ne querellons point la poésie, depuis et après Aristote, d’avoir fait étinceler cette chaîne du feu de ses pierreries, et de l’avoir entremêlée aux guirlandes des plus capricieuses variétés de ses fleurs.

La tâche ne lui était pas difficile, en vérité ; car, pour éblouir et pour charmer, il lui suffisait de nous faire envisager le peuple des fées par sa face grandiose et brillante. Voyez, et dites s’il est rien de plus imposant et de plus majestueux que le gouvernement de cette race aérienne.

C’est une monarchie dont le roi fait mouvoir, sous le charme de sa parole, une immense et pompeuse armée. Le jour inonde-t-il la terre de ses clartés, cette armée toute verdoyante n’a pour corps que des troncs noueux, et pour bras que les rameaux des chênes (l’arbre Dieu. Voir mon livre, Dieu et les dieux) qui couvrent et ombragent l’inégale surface des champs. Le crépuscule a-t-il éteint ses mourantes lueurs devant les astres qui scintillent au firmament, ces soldats-princes sortent de leur écorce, les casques d’argent étincellent sous le pâle croissant des nuits, l’acier fourbi lance de froids éclairs, toute cette armée se hérisse de lances, et le sol tremble sous la terrible cadence de ses pas… Passage, passage à la toute-puissance du fer et de la mort !

Mais non, rien de pareil ! Ne fuyez point, simples et timides bergères. Ouvrez les yeux, hâtez-vous d’accourir ; le souverain de ce peuple sylphe, ce n’est plus un conquérant farouche, ce n’est point un homme. Réunissant en une seule personne la vivacité, la grâce et la majesté, le voici qui visite la terre sous le diadème d’une reine : Quelles femmes oseraient sans pâlir exposer aux critiques de la foule leurs attraits à côté de ce chef-d’œuvre de perfection dont l’œil ravi s’enivre ? Quelles femmes ? Aucune, je le jure, si ce n’est celles que cette merveilleuse créature appelle son peuple, ou plutôt sa cour, et que loin d’éclipser par son éclat surhumain, elle semble relever en les surpassant ! Je n’ai que les pauvretés de la langue humaine à mon service, et je ne saurai redire ni la galanterie, ni la pompe des fêtes qui sont le passe-temps, le grand travail de ce royaume. Nul autre, non plus, ne saura décrire le luxe, le goût et l’élégance de leurs festins, la fougue et la splendeur féeriques de leurs chasses, ou ces torrents de mélodie dont les flots soulèvent et emportent, en se perdant dans les airs, leurs ballets et leurs valses…

Imprudents, hommes pétris de témérité, vous dont l’œil et le désir les poursuivent, arrêtez, arrêtez vite ; reculez devant la magie de Circé qui vous attire, qui vous entraîne et vous fascine.

Ouvrez, dessillez vos yeux, et, si la lumière du ciel peut y tomber encore, qu’apercevez-vous ?

Holà !… ces vieilles grimaçantes et décrépites, ce sont les princesses, ce sont les fées de tout à l’heure ! ces tètes qui branlent, ces spectres décharnés.….. courage ! approchez donc maintenant… Ce cuivre, ces grains de verre, ces lambeaux pendants, ces guenilles souillées d’ordure, vous venez d’appeler cela de l’or, du diamant, du brocard, de la dentelle ; que sais-je ? et les noms mêmes vous manquaient. Oh ! la risible déception ! Tout est fausseté dans ce pays ; voilà le vrai royaume des fées !…

Aujourd’hui, tout le peuple est imbu de la vanité de ces prestiges dans les régions que les fées hantaient. La renommée les a traînées dans la poussière ; on croit à peine à leur existence ; on se rit d’elles. Elles sont le hochet de l’enfance… Mais dans quelques régions encore, où la frivolité du nom déguise moins le sérieux de la chose, les initiés se disent : Patience, les fées sont actuellement changées en taupes ; voyez leurs mains, elles travaillent sous terre, elles sont sous terre ; un peu plus tard, elles reparaîtront !… Patience !

Assez, maintenant ; et s’il plaît au lecteur de réunir les traits épars de caractère qui se sont égarés ou disséminés dans ce chapitre, peut-être bien son opinion ne s’écartera-t-elle pas trop violemment de celle d’un grand nombre de théologiens protestants de ce pays d’Écosse où nous venons de voyager. Quelle était donc leur opinion ? Il faut le dire bien net. Examinant à tête froide, et l’un après l’autre, dans la longueur des temps, les faits dont la chaîne s’était formée sous les yeux de leurs devanciers, et qui s’allongeait en leur présence pour atteindre la main de leurs successeurs, ils s’étaient dit : Les fées et les mauvais Esprits, ce n’est guère, après tout, qu’une seule et unique famille (Lett. 4, 3, Dæmonolog., p. 123, etc. — Don Martin. — Col. de Plancy. — Jacobi. — La Société des Antiq. de France. — Archæologia, Lond., ctc., etc., etc. )

Dans notre France, en plein pays catholique, et sans mentionner l’arbre des Fées ou des Dames, qui figure au procès de Jeanne-d’Arc, l’histoire du moyen âge « nous montre les fées mêlées à des actes politiques et religieux. Ainsi dans l’abbaye de Poissy, fondée par le saint roi Louis, on disait tous les ans une messe pour préserver les religieuses de tomber au pouvoir des fées, et cet usage ne cessa que vers le milieu du XVIIIe siècle. » Pour qui donc les fidèles prenaient-ils ces fées (Jacobi, p. 132. , 5.) ?

Ce seul exemple est de nature à nous satisfaire, et je crois avoir assez fortement lié les fées aux traditions dans la chaîne desquelles elles figurent. Quiconque aura pu me suivre sans fatigue pourra, je l’espère, se former sur l’essence, sur l’histoire et sur les actes de ces êtres singuliers, une croyance qui lui permette au moins de rencontrer, sans trop de surprise, leur nom consigné dans ces pages (Un de mes plus anciens et meilleurs amis le marquis Edmond de Varennes, auteur d’un charmant volume de fables, est sur le point de publier un opuscule sur le sujet des fées ; mais il les envisage à un point de vue très-différent de celui que j’occupe, et beaucoup moins sérieux. Les personnes qui ont conservé quelque goût pour les grâces faciles du style, et pour de rares à-propos d’imagination, me remercieront de leur indiquer ces deux ouvrages, dont le second, celui des Fées, m’est encore inconnu. Il faut, ce me semble, être assez sûr d’un écrivain pour le louer de confiance. Observation. La langue anglaise exprime en un seul mot ce double aspect des fées, éblouissantes de luxe, et dégoûtantes de misère ; car le mot mab signifie la reine glorieuse des fées, et, que l’on me pardonne le terme, une souillon. )

Extrait de l’ouvrage : Mœurs et pratiques des démons ou des esprits visiteurs, par Le Chevalier Gougenot des Mousseaux, 1854)

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