Extrait des Consolations par Mgr De Ségur
1870
Que ce n’est pas le bon DIEU qui a fait la souffrance
Infiniment bon, DIEU nous a créés pour le bonheur. Sa volonté est que nous soyons heureux sur la terre, heureux dans l’éternité. Pourquoi donc souffrons-nous tant-ici bas ? La religion chrétienne nous donne, et nous donne seule, la clef de ce mystère.
Tant qu’il est resté dans l’innocence, l’homme a ignoré la souffrance : au paradis terrestre, l’homme était en plein bonheur. La souffrance n’est, en effet, que la conséquence du péché ; et c’est parce qu’il est devenu pécheur que l’homme souffre. La souffrance suit le péché, comme l’ombre suit le corps. Quelquefois elle ne le suit point immédiatement, quelquefois même elle semble lui être épargnée en ce monde ; mais tôt ou tard elle viendra, d’autant plus terrible qu’elle aura plus tardé.
La souffrance est entrée dans le monde par la porte du péché, et elle y demeurera tant que le péché y régnera, c’est-à-dire jusqu’au jugement dernier.
Comprenons-le donc une bonne fois, et n’attribuons plus jamais au bon DIEU ce qui ne vient point de lui. Dieu n’a pas plus fait la souffrance, le malheur, les larmes, qu’il n’a fait le péché.
C’est l’homme seul, c’est le pécheur qui s’est réduit lui-même à ce douloureux état. Et c’est parce que nous sommes les enfants de l’homme pécheur, de l’homme déchu, que nous sommes dans l’état de misère et de déchéance où il est tombé. Nous ressemblons aux enfants d’un roi déchu, « qui naissent dans l’exil ; aux enfants d’un seigneur ruiné, qui naissent pauvres comme leur père. En un mot, nous sommes voués ici-bas à la souffrance, parce que nous sommes des pécheurs. »
Donc, quand nous souffrons, gardons-nous de nous en prendre au bon DIEU : c’est uniquement au péché ; c’est aux méchants, qui sont les hommes de péché ; c’est au démon, instigateur du péché ; c’est enfin à nous-mêmes qui commettons le péché, qu’il faut nous en prendre.
En quel sens, cependant, la souffrance vient de DIEU
Un jour, dans un hôpital de Paris, deux jeunes gens, à peu près du même âge, se trouvaient cloués côte à côte par la maladie sur leur lit de douleur. L’un était un pauvre étourdi que les plaisirs et la légèreté avaient éloigné de DIEU depuis plusieurs années ; il avait « fait la vie » comme on dit, et la maladie de poitrine qui le dévorait, était selon toute apparence la conséquence de ses excès. L’autre, également poitrinaire, avait au contraire mené dès son enfance une vie admirablement pure : depuis sa première communion, il n’avait jamais manqué sa communion du dimanche ; à quatorze ou quinze ans, sa ferveur chaque jour croissante l’avait porté à s’approcher plus souvent encore de la table sainte.
Il était pur comme un ange, et, au milieu de ses souffrances, jamais une plainte ne sortait de sa bouche.
L’aumônier et la Sœur les soignaient tous deux avec un égal dévouement. Ils firent si bien que le premier, au lieu de blasphémer et de se désespérer sous le poids de ses terribles douleurs, rentra dans les voies de son enfance, se réconcilia avec son DIEU, et passa les dernières semaines de sa vie dans-des sentiments de pénitence qui firent une profonde impression sur toute la salle. « Je souffre bien, disait-il ; mais tant mieux : cela fait plus de pénitence. »
Le second, sanctifié de plus en plus par l’épreuve, faisait l’admiration : de tous ceux qui le voyaient. Il avait toujours le visage paisible et souriant, et jusqu’à son dernier soupir il remerciait le bon DIEU de l’avoir tant aimé.
Tous deux moururent le même jour ; et pour tous deux la souffrance, l’amère et terrible souffrance, avait été évidemment une grande visite du Seigneur.
En effet le bon DIEU, qui n’a point fait la souffrance s’en sert pour nous sauver. Il tire le bien du mal.
Il se sert de nos souffrances pour nous ramener à lui, pour ainsi dire malgré nous. Combien de gens oubliaient complètement le service de DIEU, que les chagrins, les maladies, la douleur ont fait rentrer dans la bonne voie ! Combien d’élus sont au ciel, qui seraient en enfer s’ils n’avaient point souffert ici-bas ! Et combien sont en enfer, éternellement perdus , qui se seraient sauvés s’ils avaient eu le bonheur de souffrir durant leur vie !
En ce sens, la souffrance est toujours une grande grâce, et, comme toutes les grâces, elle vient de DIEU.
La souffrance vient encore de DIEU, parce qu’elle est juste. Quoique redoutable , la justice est excellente en elle-même ; et il faut avoir assez de foi et de force d’esprit pour voir dans les souffrances une juste et très-juste punition du péché. « Merci, merci, mon DIEU ! s’écriait au milieu des supplices un pauvre apostat Coréen qui avait eu le bonheur de reconnaître sa faute et de revenir à la foi ; merci ! C’est bien !… C’est juste !… Il est juste que le pécheur souffre et expie. » Comme expiation, comme punition légitime, la souffrance vient de DIEU, bien qu’elle soit en elle-même un mal.
Enfin la souffrance vient de DIEU, en ce sens que, par elle, le bon DIEU éprouve la fidélité de ses serviteurs et centuple leurs mérites et leur bonheur éternel. Rien ne détache autant des vanités du monde que la souffrance ; rien ne jette plus directement une âme dans les bras de DIEU. Il est bien rare qu’on se sanctifie beaucoup sans souffrir beaucoup ; et la souffrance a une telle puissance de sanctification, que presque toujours la sainteté d’un chrétien est en proportion exacte de ses souffrances.
Dès-lors, il est facile de concevoir comment la bonté divine nous soumet à l’épreuve de la souffrance, et comment Notre-Seigneur, par pure miséricorde, permet que ceux qu’il aime le plus, soient visités davantage par les peines et les douleurs.
Cher lecteur, ne répétez donc jamais ce cri, vraiment déraisonnable, que la souffrance met à chaque instant sur les lèvres de ceux qu’elle atteint : « Qu’est-ce que j’ai donc fait au bon DIEU pour qu’il m’envoie tant de mal ? » Ce que vous lui avez fait ? Mais oubliez-vous donc cette longue série de péchés, de péchés mortels, qui remplit pour ainsi dire tout votre passé ? La lumière de la foi est-elle donc tellement obscurcie en vous que vous n’aperceviez même plus cette montagne de fautes ?
Ce que vous avez fait au bon DIEU ? Mais Notre Seigneur, mais la Sainte-Vierge, mais les martyrs et tous les Saints qui ont tant souffert, lui avaient-ils fait quelque chose ? Leur souffrance n’a pas été pour eux un châtiment, comme elle l’est pour les pécheurs, mais bien une épreuve ; et c’est parce qu’ils sont sortis victorieux de cette épreuve, qu’ils sont couronnés d’une gloire éternelle dans le ciel.
Qui que vous soyez, juste ou pécheur, vous ne pouvez raisonnablement vous poser cette question décourageante. Si vous êtes pécheur, regardez le feu éternel de l’enfer, regardez les brûlants abîmes du Purgatoire ; regardez les expiations épouvantables de la Passion et du Calvaire ; et, au lieu de murmurer, frappez-vous la poitrine*, dans l’humilité et le silence. Si vous êtes juste et innocent, regardez le Paradis, avec l’éternité de son ineffable béatitude ; regardez la gloire des saints pénitents et des martyrs ; enfin, regardez le très-innocent Jésus, cloué sur sa croix et mourant pour vous. Regardez cela ; et, le cœur plein d’espérance et d’amour, bénissez DIEU, au lieu de vous plaindre.
Au ciel, nous verrons quel merveilleux parti notre très-miséricordieux Seigneur a su tirer de la souffrance pour notre vrai bien, et nous comprendrons en quel sens DIEU lui-même nous visitait par la douleur.
* Lors de la confession des péchés, il est d’usage de se frapper trois fois la poitrine lors du passage : c’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute.
Comme quoi le démon est l’auteur responsable de nos souffrances
L’homme n’est tombé dans le péché qu’à l’instigation du démon : il était juste qu’il fût châtié et DIEU le châtia en l’abandonnant, dans une mesure, à la puissance du démon.
Il serait trop long d’expliquer ici en détail comment tout le mal qui est sur la terre, comment tous les désordres qui troublent la nature, comment toutes les destructions, de quelque genre qu’elles soient, sont le résultat de l’influence maudite de ce grand esprit, que DIEU a créé pour être comme l’administrateur général de tout le monde de la matière. Ces désordres, ces bouleversements ne peuvent venir de Dieu, qui est l’ordre infini ; ils ne viennent pas non plus des bons Anges, qui sont des ministres de paix, d’ordre et de vie ; ils ne viennent point des éléments matériels, qui, par eux-mêmes n’ont ni mouvement ni puissance : ils viennent donc de cette force secrète et détestable qu’on appelle le démon et qui trouble, sans pouvoir cependant le détruire, le bel ordre de la création.
C’est ainsi, qu’au moyen de mille et une manières, que les savants appellent les causes secondes, l’auteur du mal bouleverse, çà et là, l’atmosphère et y produit les tempêtes, les orages, les grêles, les tonnerres, avec toutes leurs destructions. C’est ainsi qu’il envenime telles et telles plantes, tels et tels sucs ; qu’il anime de sa rage tels et tels animaux, pour faire du mal à l’homme et aux autres créatures de DIEU.
Ainsi encore il suscite dans l’air, dans l’eau, DIEU le permettant ainsi, des petits animalcules imperceptibles, que l’on distingue à peine au microscope, et qui promènent sur la terre ces horribles épidémies, ces maladies contagieuses qui détruisent tant de monde : la peste, le choléra, la petite vérole, les fièvres de toute nature, etc, etc.
La médecine et la science constatent les effets de ces maladies ; elles en combattent, quelquefois elles en arrêtent même les ravages, au moyen des remèdes sous lesquels se cache l’action miséricordieuse et guérissante du bon DIEU et des saints Anges ; mais la foi seule pénètre jusqu’à la cause invisible de tous ces maux, et nous montre, caché comme un malfaiteur qu’il est, l’ennemi de DIEU et des hommes, le père du mal, l’horrible démon. Tous les maux dont nous souffrons ici-bas remontent à lui comme à leur source.
Et comme c’est encore lui qui pousse les hommes au péché, c’est lui, toujours lui, qui doit porter en premier lieu le poids de notre indignation, lorsque nous souffrons de la méchanceté et des mauvaises passions des hommes. C’est lui qui a suscité, dans le cœur de Caïn ; l’envie, la colère, l’impiété qui ont tué Abel : il a ainsi, le premier, fait couler le sang humain, fait verser les premières larmes. C’est lui qui a été, qui est et qui sera jusqu’à la fin l’instigateur de tous les crimes, de toutes les révoltes, de toutes les cruautés, de toutes les erreurs, de toutes les infamies du genre humain. Il est, depuis l’origine, à la racine de tout péché, de tout désordre.
Aussi l’Église l’appelle-t-elle, dans son profond et énergique langage, le docteur des hérétiques, le maître des impudiques, le père des menteurs, le prince du mal. Et sa ruse, qui ne réussit que trop bien, est de se cacher toujours et de faire croire à ses malheureuses victimes que les maux dont elles souffrent viennent du bon DIEU. De là, ce mystère étrange et abominable du blasphème, par lequel l’homme s’en prend à DIEU, s’irrite contre DIEU, le menace et maudit son saint nom, lorsqu’il se fait du mal ou qu’on lui fait du mal. Le blasphémateur qui maudit DIEU ressemble alors à un homme qui, menacé par un assassin et défendu par un ami, prendrait l’ami pour l’assassin et le frapperait, le tuerait, au lieu et place de l’assassin.
Ainsi, le démon est l’auteur secret et universel du mal, et par conséquent de la souffrance. Tous les maux, quels qu’ils soient, viennent directement ou indirectement de lui ; comme tous les biens, quels qu’ils soient, nous viennent directement ou indirectement du bon DIEU. Et de même que DIEU dispense la vie à toutes ses créatures par le ministère de ses Anges fidèles, de même Satan, le plus grand des anges rebelles, sème la révolte, le désordre et le mal dans la création, avec le concours de tous les autres mauvais anges qui l’ont suivi dans sa rébellion. Cette lutte invisible, dont nous ressentons si douloureusement les effets, ne cessera qu’avec le monde, parce que l’infidélité ou la fidélité des anges ne peut changer leur vocation, qui est d’administrer ou de gouverner les éléments de la matière. En effet, ce n’est ni par manque de puissance, ni par manque de bonté, que le Seigneur tolère l’action malfaisante des démons à travers les siècles ; c’est sa souveraine sagesse qui exige cela, la créature ne pouvant point changer ainsi à son gré les plans de son Créateur.
Voilà ce que bien des gens ignorent, et ce qui leur fait prendre les choses de la vie tout de travers. J’ai connu une dame, fort pieuse, fort bonne jusque-là, qui, n’ayant pu arracher sa fille à une terrible maladie, perdit pour ainsi dire la foi, crut que DIEU était méchant ou sourd, cessa de le servir, et passa tout le reste de sa vie dans un sauvage désespoir. Pauvre femme ! si elle avait su ! ou plutôt si elle avait voulu savoir ! La même chose est arrivée à un excellent père de famille, breton, chrétien pratiquant, qui, ayant perdu coup sur coup sa femme et son fils, s’en prit au bon DIEU avec une douleur tellement aveugle, que, depuis bientôt vingt ans, il a laissé là toute prière, toute pratique religieuse ; il ne met plus le pied à l’église.
Pendant le siège du Mans par les Prussiens, une dame déclarait que si les Prussiens entraient dans la ville, elle ne prierait plus jamais le bon DIEU, et n’irait plus jamais à la Messe. « Si malgré toutes nos prières, ils entrent, disait cette pauvre égarée, ce sera la marque évidente que le ciel nous a abandonnés. Dès lors, à quoi bon aller à DIEU ? »
Penons donc bien garde aux illusions, et n’imputons jamais à notre très bon DIEU ce qui est le fait du démon et des instruments du démon.
Que, dans le mystère de la souffrance, DIEU se sert du démon pour nous éprouver et nous sanctifier
Bien que le démon, premier auteur de toutes nos souffrances, conserve, comme nous l’avons dit, jusqu’à la fin des temps, un certain pouvoir sur les créatures, il n’en est pas moins misérable esclave, dont DIEU se sert pour l’accomplissement de ses desseins adorables. Nous en trouvons une preuve très-frappante dans une des plus belles pages de l’Écriture-Sainte.
Du temps de Moïse vivait en Orient un homme simple et droit, craignant DIEU, et fuyant le mal. Il se nommait Job. Il avait toutes les prospérités de ce monde ; sa famille, nombreuse et unie, se composait de sept fils et de trois filles. Ses troupeaux étaient innombrables, ainsi que ses serviteurs. Son existence était aussi royale que sainte. Chaque jour, il offrait au Seigneur un sacrifice d’actions de grâces et d’expiation, afin de le remercier de tous ses bienfaits et d’obtenir le pardon des fautes qui pouvaient échapper à ses enfants et à lui-même.
« As-tu remarqué mon serviteur Job ? dit un jour le Seigneur au démon. Il n’a point son semblable sur la terre ; il est simple et pur, honorant DIEU et détestant le mal. — Cela n’est pas étonnant, répondit le démon : tout lui a réussi jusqu’à ce jour, et vous ne cessez de le combler. Essayez de toucher à ses biens ; et vous verrez s’il continuera de vous bénir. — Eh bien, dit le Seigneur ; je te donne pouvoir sur tout ce qu’il possède ; seulement ne touche pas à sa personne. »
Or, les fils et les fils de Job prenaient ensemble leur repas dans la maison de leur frère aîné ; et les troupeaux du Patriarche paissaient tranquillement dans les campagnes environnantes. Tout à coup, un serviteur accourt et dit à Job : « Vos troupeaux de bœufs, de chameaux et d’ânesses viennent d’être enlevés par les Sabéens et par les Chaldéens, qui ont tué tous vos serviteurs. Seul, j’ai pu m’échapper, et je viens vous l’annoncer. »
Il parlait encore lorsque se présente un autre serviteur : « Seigneur, s’écrie-t-il, la foudre vient de dévorer toutes vos brebis et ceux qui les gardaient. J’ai été seul épargné, et je viens vous l’annoncer. »
Celui-ci n’avait pas encore fini de parler qu’un troisième accourt et dit à Job : « Pendant que vos enfants étaient tous réunis dans la maison de leur frère aîné, une trombe de vent s’est élevée du désert, a renversé la maison, écrasant sous ses débris vos enfants et vos serviteurs. Seul, j’ai pu m’échapper et venir vous l’annoncer. »
Voilà bien ce que nous disions tout à l’heure : le démon, se servant des éléments de la nature et de la méchanceté humaine pour faire du mal, pour détruire, pour désoler. Les méchants, quels qu’ils soient, sont ou les coopérateurs coupables ou les aveugles instruments de Satan. Pour ceux qui ne voient que l’extérieur, il n’y a ici que des pillards, des brigands ; c’est un orage, c’est le feu du ciel ; c’est une de ces trombes de vent et de sable, comme on en voit encore dans les déserts de l’Afrique et de l’Arabie. Pour ceux qui voient le dessous, il y a l’action du démon.
Le démon voulait faire blasphémer Job ; mais ce grand serviteur de DIEU est un homme de foi et d’espérance. La violence de sa douleur ne lui fait point perdre le sens. Il se prosterne la face contre terre, il adore son DIEU ; il se soumet humblement. « Je suis sorti nu du sein de ma mère, s’écrie-t-il ; nu, j’y rentrerai. Le Seigneur m’avait tout donné, le Seigneur m’a tout enlevé. Que son saint nom soit béni ! »
Voyez comme la foi de Job discerne clairement la main de DIEU sous l’action malfaisante du démon et des créatures, et avec quelle fidélité il baise cette main qui le frappe ! Il sait, il voit que c’est la main d’un père, qui n’envoie la souffrance à ses enfants que pour les éprouver.
Vaincu dans ce premier effort, le démon ne se tient pas pour battu. Il insiste : « Étendez sur lui votre main, dit-il au, Seigneur ; frappez-le en son corps, et nous verrons s’il ne finira point par vous maudire. — Eh bien, je te l’abandonne, répondit le Seigneur ; mais je te défends d’attenter à sa vie». Et voici que tout à coup le pauvre Job voit son corps se couvrir d’ulcères ; de la tête aux pieds, ce n’était qu’une plaie. Privé de tout secours, il en fut réduit à aller s’étendre sur un tas de fumier. Tous ses amis l’abandonnèrent ; et sa femme elle-même, le tournait en dérision, s’éloigna en disant : « Maudis donc DIEU et meurs ! » Mais lui, fidèle jusqu’au bout, répondit avec douceur : « Nous avons accepté de la main de DIEU les biens et la prospérité ; pourquoi ne pas accepter également les maux ? » Et il demeura immobile dans sa patience, dans sa foi profonde, dans sa résignation pleine d’espérance.
L’Écriture-Sainte ajoute que l’épreuve dura de longues années, et que le Seigneur finit par récompenser au centuple la fidélité de son serviteur, en le comblant de nouveau, et jusqu’à la fin de sa vie, de toutes sortes de biens.
Quand nous souffrons, soit dans notre corps, soit dans notre cœur, soit dans nos biens, faisons comme Job : bénissons le Seigneur ; sachons l’apercevoir à travers l’épreuve de la souffrance ; soyons des hommes de foi et de prière ; et ne nous arrêtons pas à la cause immédiate de nos souffrances ; rendons à DIEU ce qui est dû à DIEU : l’adoration, la soumission parfaite, l’action de grâces, la confiance, l’amour ; et au démon ce qui est dû : le mépris de ses ruses et l’horreur de sa méchanceté.
Quel est le vrai Consolateur de toutes nos souffrances ?
C’est Celui qui a dit au monde et qui seul a pu lui dire : « Venez à moi, vous tous qui souffrez et qui ployez sous le fardeau ; et moi, je vous soulagerai. » C’est le Fils de DIEU fait homme ; c’est le grand Sauveur, la grande Victime, Jésus-Christ.
Ça été une de ses premières paroles, lorsqu’il a commencé à se manifester au monde. Ayant reçu, dans la synagogue de Nazareth, le livre des prophéties d’Isaïe, il l’ouvrit en présence du peuple, et lut à haute voix le passage qui suit : « L’Esprit du Seigneur repose sur moi. Il m’a envoyé pour évangéliser les pauvres, pour guérir les cœurs meurtris, pour annoncer aux captifs leur délivrance, pour rendre aux aveugles la lumière. » Et regardant tout le peuple, il ajouta : «Ces paroles de l’Écriture s’accomplissent aujourd’hui sous vos yeux.» Jésus-Christ nous apporte en effet, dans les trésors de sa grâce, le remède efficace de toutes nos souffrances sans exceptions. Il ne nous les enlève point ; car, hommes pécheurs, nous devons souffrir et expier ici-bas ; mais il métamorphose, il transfigure nos douleurs, et, par un secret divin, il en change l’amertume en une suavité merveilleuse. C’est pour opérer ce changement qu’il a voulu le premier, lui, le Fils de DIEU, l’Innocent, le Saint des saints, qui n’avait aucunement mérité de souffrir, prendre sur lui-même le terrible fardeau de toutes nos douleurs. Son amour miséricordieux n’a rien laissé de côté : souffrances de l’âme, souffrances du cœur, souffrances du corps, privations de tout genre, pauvreté, humiliation, calomnie, persécution, trahisons, injures, outrages sanglants, injustices, douleurs atroces, délaissements : il a tout souffert ; il a voulu tout souffrir.
Après cela, n’a-t-il pas le droit de nous dire, de nous crier du haut de sa croix, où il souffre , où il meurt pour nous : « Venez à moi, vous tous qui souffrez ! »
Et Jésus est notre DIEU, notre Créateur éternel ; il est à la fois notre modèle de souffrance et notre éternelle récompense, Il est la vie de nos âmes ; il est en nous ; par sa grâce, il demeure au fond de notre cœur, si nous sommes à lui et si nous voulons l’aimer. « Si quelqu’un m’aime, nous dit-il à tous, mon Père l’aimera et moi aussi je l’aimerai, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure… Demeurez en moi, et moi en vous. »
Oh, quel Consolateur ! Il n’en est point d’autre. De même que DIEU seul est DIEU, de même aussi Jésus seul est Jésus, c’est-à-dire Sauveur, c’est-à-dire consolateur, soutien, médecin, remède.
Souffrons-nous d’une maladie, d’une blessure, d’une infirmité quelconque ? Regardons Jésus crucifié et tout sanglant.
Souffrons-nous de la persécution et de la calomnie ? Souffrons-nous de l’injustice des hommes, de leurs méchancetés, de leurs duretés ? Regardons la croix ; regardons Jésus persécuté et condamné à mourir.
Sommes-nous humiliés, trahis, délaissés ? Regardons la croix ; regardons la crèche ; Jésus, toujours Jésus, le céleste Consolateur, la Victime innocente.
Son Sacré-Cœur a souffert toutes les angoisses, tous les déchirements de l’amour méconnu. Lui qui aimait tant, lui, l’Amour sans mesure, il s’est vu haï, repoussé de tous. Quelle souffrance ! et quel est le cœur qui en supportera jamais la centmillième partie ?
Jésus-Christ a été broyé, déchiré en son corps. En un mot, il a tout souffert ; et cela, afin d’enlever la cause de nos souffrances, le péché ; afin de sanctifier, de diviniser nos douleurs en les unissant aux siennes ; afin de nous consoler dans nos épreuves ; afin de nous sauver.
Voilà ce qu’est Jésus-Christ, au milieu des douleurs humaines : le Sauveur, le Consolateur. Allons à lui, si nous voulons être consolés.
Du beau livre où tous ceux qui souffrent devraient savoir lire
Un grand saint, qui vécut en Italie, au treizième siècle, et qui fonda l’ordre des Serviteurs de MARIE, saint Philippe de Beniti ; était arrivé au terme de sa laborieuse carrière. Étendu sur les planches qui lui servaient de lit, presque agonisant, il était entouré de ses frères qui l’assistaient dans cette lutte suprême. « Donnez-moi mon livre » murmura le saint mourant. Pensant qu’il voulait réciter quelque psaume, un Frère lui présente aussitôt son livre d’Heures ; mais saint Philippe fait signe que ce n’est point cela qu’il désire, et il répète doucement : « Donnez-moi mon livre ; donnez-moi mon livre. » Un autre Frère lui tend la Sainte-Écriture. «Non, dit encore le bienheureux mourant ; non… donnez-moi mon livre.»
Frappé de cette insistance, quelqu’un remarqua que saint Philippe ne quittait point des yeux le crucifix qui pendait près de sa couche. Il le détacha et le présenta au Bienheureux. Celui-ci, le visage tout radieux, étend alors ses mains défaillantes, saisit l’image sacrée de son DIEU, et la baisant avec transport, s’écrie : « Voilà, voilà mon livre !… C’est là mon cher livre, où j’ai tâché, durant toute ma vie, d’apprendre à lire… C’est l’unique livre où il soit nécessaire de savoir lire ! » Et ce fut sur le crucifix qu’il exhala, quelques moments après, son dernier soupir.
Le crucifix ! oui, voilà le grand livre des affligés, qu’ils doivent consulter, lire, méditer sans cesse. Un affligé, un malade sans crucifix, c’est un soldat sans armes, un ouvrier sans outil.
Pendant qu’on la conduisait à l’échafaud, la pauvre reine Marie Stuart tenait à la main son crucifix et le baisait souvent. — « Madame, lui dit brutalement un officier protestant qui l’accompagnait, ce n’est pas dans la main, c’est dans le cœur qu’il faut porter le Christ. — Milord, répondit gravement la pieuse reine, il est bon de le porter dans la main, pour l’avoir plus sûrement dans le cœur. » Parole admirable !
Oui, ayons le crucifix à la main, ayons-le sous les yeux, portons-le sur notre poitrine, afin de nous rappeler le doux Sauveur qui vit en notre âme, et qui a tant souffert pour sanctifier et féconder nos souffrances.
Que nous apprend, en effet, que nous rappelle le crucifix ? D’abord et avant tout, que le bon DIEU nous a tant aimés qu’il a daigné se faire homme pour nous et nous racheter au prix de son sang.
Il nous rappelle, il nous apprend que nous sommes les disciples d’un Maître crucifié, déchiré de coups, tout sanglant, humilié, anéanti, abandonné de tous, persécuté, obéissant jusqu’à la mort. Quelle leçon pour un pauvre affligé ! Quel exemple irrésistible !
Que nous disent les plaies du crucifix ? Celles des pieds sacrés de Jésus laissent couler dans nos cœurs, avec les flots du sang divin, ces deux grandes paroles : Pénitence et Obéissance. Celles de ses deux mains : Pauvreté et Chasteté. La plaie de son côté : Amour, Sacrifice. Les plaies de sa tête couronnée d’épines nous crient : Humilité. Enfin, les plaies qui couvrent tout son corps sont autant de voix qui nous répètent : Mortification, Patience, Résignation, Douceur, Amour de la souffrance, Espérance.
Tel est le résumé du grand livre des chrétiens ; le livre qu’ils doivent apprendre à lire dès l’enfance, qu’ils doivent lire et méditer toujours, mais surtout qu’ils doivent lire et méditer, lorsque, visités par la souffrance, ils se voient appelés par Jésus-Christ à souffrir avec lui, à souffrir pour lui, à souffrir comme lui et en lui.
C’est une négligence impardonnable à un chrétien de ne pas posséder un crucifix. Le crucifix est l’arme de la vie et de la mort ; c’est le résumé de l’Évangile ; c’est le livre de la consolation et du salut. C’est le livre de tous, le divin livre que chacun peut lire, comprendre, goûter. Le dernier des pauvres, le dernier des ignorants, s’il connaît, s’il aime le bon DIEU, peut lire et comprendre admirablement ce livre ; et le plus grand des savants peut n’y rien comprendre, s’il ne connaît point et s’il n’aime point Jésus-Christ.
Ô vous tous qui souffrez, apprenez, de grâce, à lire, à comprendre le crucifix !
La Prière – Prier avec la Vierge Marie – Prières traditionnelles du Matin – Prières traditionnelles du Soir
Le Dieu de toute grâce vous a appelés en Jésus-Christ à sa gloire éternelle. Après que vous aurez souffert un peu de temps, il vous rétablira lui-même, vous affermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables.