Par Louis Dasté, licencié ès sciences, ingénieur.
Juin 1898.
Ex fructibus eorum cognoscetis (c’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez)
Toutes les fausses religions du Monde Antique avaient à leur base un Ésotérisme, c’est-à-dire des Secrets mystérieusement révélés à quelques initiés.
Après Notre-Seigneur Jésus-Christ, les mêmes orgueilleuses prétentions à une initiation les élevant au-dessus des autres hommes furent professées par les diverses sectes gnostiques.
Aujourd’hui encore, c’est à la possession d’un antique et savant Ésotérisme que prétendent les docteurs de l’Occultisme moderne, ces philosophes quelque peu sectaires, quoi qu’ils disent.
Bien plus après avoir régné dans les sanctuaires les plus révérés de l’Antiquité, c’est absolument le même Ésotérisme qui règne aujourd’hui chez les occultistes contemporains. En un mot, pour ce qui est des doctrines, les mystères initiatiques modernes sont identiques aux mystères anciens.
Et ceci, hâtons-nous de le dire, n’est pas une hypothèse gratuite : c’est une certitude absolue, qui se manifestera d’ailleurs avec la plus éclatante lumière après un examen même rapide des sectes occultistes de tous les temps. Ajoutons que cette certitude ressort aussi de multiples aveux faits par les plus savants porte-paroles de l’Occultisme.
Pour nous, catholiques, déclarons-le de la façon la plus formelle : en vertu de l’adage, « qui n’est pas avec nous est contre nous » , toutes ces sociétés initiatiques du passé et du présent forment des corps d’armée, distincts mais solidaires, dans l’immense armée qui bat en brèche l’Église de Dieu.
En d’autres termes, toutes ces sociétés appartiennent à la cité de Satan, opposée à la cité de Dieu, selon la frappante expression de Saint Augustin.
Ce grand docteur de l’Église a précisément réfuté de la manière la plus heureuse les prétentions à un Ésotérisme pur et saint, soutenues par les Sacerdotes du Paganisme. A maintes reprises, il a insisté sur l’inanité de ces pompeuses théories suivant lesquelles des initiés, impuissants ou complices, abandonnaient le peuple aux superstitions les plus stupides et aux rites les plus crapuleux, tout en prétendant professer au fond des sanctuaires un enseignement de la plus haute morale, de la science la plus profonde, en faveur de quelques privilégiés !
Dans quelles tours d’ivoire s’étaient-ils donc réfugiés, ces initiés saints et puissants, pendant de longs siècles d’agonie où tous les peuples de l’ancien monde souffraient un infâme martyre, avant la venue du Christ ?
Où trouve-t-on trace des efforts accomplis en faveur du Bien, du Juste, par ces hiérophantes dont les arrières-neveux nous vantent les vertus et les merveilleux pouvoirs ? Sont-ils parvenus jusqu’aux oreilles de ces mages sublimes, les cris de douleur et de sainte extase proférés dans les arènes par les chrétiens suppliciés ?
Pendant ces trois siècles de tortures et de sang qui vont de la mort du Sauveur à la conversion de Constantin, pour qui luttaient-ils, ces initiés ? – Était-ce pour le Galiléen ? Était-ce au contraire pour ces Dieux immortels hors de tous les Panthéons ?
Tous Ésotéristes
C’est une chose frappante, et bien digne d’attirer l’attention du chrétien, de voir tous les groupements occultes, antiques et contemporains, professer unanimement cette doctrine de l’existence d’un Ésotérisme, d’une science secrète supérieure à tous les dogmes, à toutes les religions et les englobant tous et toutes.
Cette unanimité constitue à nos yeux l’un des liens les plus solides qui unissent les unes aux autres les sociétés initiatiques à travers les âges : c’est la catholicité ou universalité de l’erreur ! Il est d’ailleurs curieux de constater combien le mot catholique, c’est-à-dire étymologiquement universel, attire et séduit certains ennemis de l’Église qui voudraient lui ravir cet attribut pour en parer leurs menteuses doctrines.
Citons à ce propos quelques passages du grand mage moderne, Eliphas Lévi (l’abbé Constant), le diacre apostat heureusement réconcilié avec l’Église trois mois avant sa mort, survenue en 1875.
… La religion catholique, universelle, du Magisme messianique… (Dogme de la Haute Magie)
… Dans les dogmes, les initiations, les écritures sacrées, les Védas, les livres d’alchimie… les sociétés mystérieuses… partout on retrouve les traces d’une doctrine toujours la même et partout soigneusement cachée. La philosophie occulte semble avoir été la nourrice ou la marraine de toutes les religions, reine absolue de la société dans les âges où elle était exclusivement réservée à l’éducation des prêtres et des rois.… (Dogme de la Haute Magie)
… Oui, il existe un dogme unique, père de tous les autres… (Ibid)
… une religion commune, dont toutes les autres ne sont que les voiles et les ombres… c’est celle qui a pour base le dogme des analogies universelles (1).. (Rituel de la Haute Magie)
(1) C.-à-d. la loi d’Hermès Trismégiste : Verum sine mendacio… quod est inferins est sieul quod est superins; el quod est superius esl sicut quod esl tnferius ud perpelranda miracula rei unins. (Voir Table d’Emeraude, citée par Stanislas de Guaita, Clef de la Magie Noire,)
Tous Magiciens
Voici un autre point de contact entre tous les sectaires que nous appelons occultistes pour fixer les idées, aussi bien les anciens que les modernes : TOUS ONT PRATIQUÉ ET PRATIQUENT AUJOURD’HUI ENCORE LA MAGIE.
Qu’ils se vantent d’être de bienfaisants adeptes de la magie blanche, ou qu’ils ne puissent guère prétendre qu’au titre de mages noirs ; que leurs adversaires aient ou non raison de les appeler « infâmes goètes, abominables sorciers » (et Dieu sait que ces Messieurs se connaissent bien entre eux!) – pour nous, tous les occultistes d’autrefois et d’aujourd’hui sont SURTOUT ET AVANT TOUT DES MAGICIENS.
Qu’ils aient affaire dans leurs évocations, dans leurs rapports avec l’Invisible, comme ils disent, ou à des esprits de la nature (Élémentals) ou à des Désincarnés (Élémentaires), bref, à des « Entités de l’Espace« , plus ou moins mal définies, ces magiciens sont pour nous de malheureux hommes, nos frères, assez téméraires pour s’exposer à d’horribles dangers signalés dans les termes les plus éloquents et les plus émus par les plus intrépides d’entre eux-mêmes. A ce titre, ces frères égarés ont droit à toute notre compassion chrétienne. Ils n’en ont que faire, diront-ils peut-être ! Nous la leur donnons quand même.
Au sujet de ces épouvantables dangers, nous croyons devoir reproduire quelques passages topiques, empruntés à trois écrivains occultistes de haute renommée :
… J’ai signalé antérieurement les dangers que peuvent faire courir les recherches psychiques. J’ajouterai qu’en ce qui concerne l’entraînement destiné à développer les facultés supérieures d’abmatérialisation, il conduit presque toujours à la démence ou à une péjoration des penchants, et parfois à l’éclosion de nouvelles passions dépendant le plus souvent d’une aberration du sens génésique… Je connais pour ma part plusieurs exemples terribles de cette perversion… En voici un : un écrivain anglais de talent, mort depuis peu de temps, voulut… acquérir des facultés sur-ordinaires… Il écrivit des livres qui font encore aujourd’hui l’admiration des mystiques et des « étudiants en occultisme ». Il avait réussi à fonder en Orient une communauté où se trouvait un certain nombre de jeunes filles et femmes anglaises ou américaines de bonne société. La communauté avait — et a encore au moment précis où j’écris — des adhérents et adhérentes en Europe — même à Paris — et en Amérique. J’en connais quelques-uns des deux sexes. Eh bien ! derrière le piétisme et le mysticisme raffinés des adeptes se cachaient et se cachent encore, les pratiques obscènes les plus dégoûtantes élevées à la hauteur d’un principe et d’un culte… J’ai en ma possession des pièces irréfutables, et je pourrais dans une prochaine édition, citer des noms connus, si j’y étais obligé. Du reste l’histoire est en train de faire le tour de l’Angleterre et de l’Écosse… [Analyse des Choses, etc. (1890), par le Dr Paul Gibier, ancien interne des Hôpitaux de Paris, aide-préparateur au Muséum… chevalier de la Légion d’honneur.…,]
… La réversibilité rend victimes de la lumière astrale ceux qui n’ont pas su la diriger… [Au seuil du Mystère par Stan. de Guaita]
.… Outre les maladies de cœur, de habituellement consécutives à émotions violentes ; outre la mort imminente par congestion cérébrale ; outre des dangers de nature plus étranges que nous signalerons à leur heure, la pratique imprudente de l’hypnotisme, « fortiori de la Magie cérémonielle, ne manque pas d’inspirer à l’expérimentateur un insurmontable dégoût de la vie.
Eliphas Lévi lui-même, tout adepte qu’il fut et d’un ordre supérieur, avoue avoir ressenti à la suite de curieux essais de nécromancie (divination, des personnes décédées qui communiquent avec les vivants) qu’il fit à Londres en 1854, un profond et mélancolique attrait pour la mort.
… Ayant prophétiquement annoncé le jour de sa mort, Jérôme Cardan se suicide (1576) pour ne pas faire mentir l’astrologie, Schræppfer de Leipzig, au comble de sa gloire de nécromancien, se fait sauter la cervelle (1774). Le Spirite Lavater meurt mystérieusement (18o1). [Idem…]
… Si tous les secrets étaient divulgués, qui attiennent de près ou de loin au magnétisme animal, et qu’il fût assez de pervers au monde pour en abuser collectivement — c’est chose triste à dire, mais tels seraient alors les fruits d’une civilisation néfaste qu’il faudrait espérer une invasion de barbares comme une délivrance ! (Idem….)
… (La lumière astrale) est l’instrument de l’initiation ; c’est l’Ennemi à Vaincre : c’est lui qui envoie à nos évocations tant de larves et de fantômes. [Éliphas Lévi, Dogme de la Haute Magie]
… Les esprits impurs peuvent agir (sur les Âmes faibles), s’en faire des instruments dociles et s’habituer même à tourmenter leur organisme, dans lequel ils viennent résider par obsession ou par embryonnat… Il est donc extrêmement dangereux de se jouer des Mystères de la Magie. (Ibid..)
Tous ennemis de Dieu
Il est encore un troisième caractère commun à tous ces initiés ou prétendus tels qui se seraient transmis ce qu’ils appellent la vraie lumière.
Ce caractère-là, d’ailleurs, ressemble étrangement à celui que l’Apôtre saint Jean appelle le caractère de la Bête, dans l’Apocalypse. – C’est que toutes les Sectes à Initiés mènent depuis le drame de Golgotha une furieuse guerre contre l’Idée chrétienne ! C’est que toutes ces Sociétés exhalent la haine la plus farouche contre le Christ ! Est-ce clair ?
Après la venue du Sauveur, haine à son Église. Guerre ouverte ou cachée, mais toujours implacable contre les enseignements chrétiens.
Avant Lui, la cacophonie rituélique et dogmatique la plus complète, avec ces hiérophantes, guérisseurs suspects, avec ces cérémonies cultuelles aussi obscènes que barbares, avec ces Oracles, proclamant dans l’ombre leurs obscures sentences.
Où les oracles menteurs conduisaient-ils les peuples ?
Dans quels abîmes de débauche et de cruautés les « Entités spirituelles » qui dictaient ces Oracles s’efforçaient-elles de les faire descendre ?
On ne les connaît que trop, par les Historiens et les Pères de l’Église, ces fêtes païennes de folle et odieuse lubricité, ces sacrifices de honte et de sang qui faisaient ressembler de nobles nations, – parvenues grâce à leur génie naturel, à la civilisation matérielle la plus grandiose, – aux viles peuplades du Dahomey ou à ces adorateurs du Soleil, au Mexique et au Pérou, qui rougissaient leurs autels du sang de tant de milliers de victimes !
Et où ont-ils abouti, les enseignements secrets des initiés, donnés, nous dit-on, à tous les collèges sacerdotaux du vieux monde ? A la péjoration constante, à l’avilissement implacable de toute ce que la civilisation antique renfermait de noble, de grand et de véritablement humain ! Au cloaque impur de l’Empire romain, avec les Tibère, les Néron et les Héliogabale, à cette universelle sentine de tous les vices, de toutes les infamies les plus odieuses et le plus cruellement ignobles !
Pour résumer d’avance notre étude en quelques mots, nous dirons que ce qui caractérise par-dessus tout, au point de vue des pratiques, les Sectes initiatiques anciennes et modernes, C’EST LA MAGIE (1), qui se joint tout naturellement depuis l’Ère Chrétienne à LA HAINE DU CHRIST ET DE SON ÉGLISE.
(1) Le grand mage Eliphas Lévi ne péchait pas par ignorance ! Voici en effet ce qu’il a écrit : « L’Église… condamne et doit toujours condamner la Magie… » (Dogme de la Haute Magie, 3e édit.)
« Je sais que le Christianisme a supprimé pour toujours la Magie cérémonielle et proscrit sévèrement les évocations et les sacrifices de l’Ancien Monde… L’Orthodoxie israélite… ne réprouve pas moins que le Christianisme les Mystères de Magie cérémonielle. » (Rituel de la Haute Magie, 3e édit.)
Quant aux théories doctrinales, – l’Ésotérisme, occlus, disent les initiés ou soi-disant tels, dans les dogmes et les symboles antiques, nous apparaît comme l’écho dénaturé, comme le reflet profondément altéré de ces vérités primordiales qui aux premiers âges du Monde étaient le patrimoine commun de tous les Hommes. A mesure que ces pieuses traditions s’obscurcissaient davantage dans les mémoires, et que leurs commentaires devenaient plus confus, il semble que les prêtres des divers peuples aient voulu étreindre ces vérités fugitives avec un soin plus jaloux, et les enfermer dans des sanctuaires plus impénétrables !
Hélas, l’Ange tombé qui fut « homicide dès le Commencement » guettait alors, comme il guette aujourd’hui, la moindre fissure par où infiltrer l’Erreur dans la pensée des Hommes ! N’est-ce pas lui qui a amené l’altération graduelle de la Révélation primitive ? Aussi haut que nous remontions dans l’Histoire, nous les trouvons, ces traditions originelles, dans toutes les cosmogonies des anciens peuples, – mais défigurées, ici dans le sens polythéiste, là dans le sens panthéiste, là enfin dans le sens naturiste, selon les tendances intellectuelles différentes chez les différentes nations.
Ainsi donc, comme on peut dire qu’au berceau de toute erreur se trouve une vérité plus ou moins déformée par la suite – la source de l’Ésotérisme que se vantent de posséder les occultistes modernes sera pour nous le vague souvenir des vérités révélées, héritage de tous les hommes (2).
Mais nous allons voir dans le détail combien ce souvenir a changé sur la route, hélas ! Et à quels prodiges de déraisonnable orgueil il a finalement abouti, dans les Mystères initiatiques du paganisme, impurs ancêtres des Mystères modernes.
(2) Il nous paraît intéressant de rappeler ici un passage de Mgr Freppel : « … un fonds de monothéisme travesti, il est vrai, défiguré, mais subsistant à travers les siècles comme un reste immortel de la religion primordiale… Ce fonds primitif, nous l’avons dit plus d’une fois, ne s’est complètement perdu chez aucun peuple… » (St Irénée)
Religions et Initiations antiques
Tous Ésotéristes, tous Magiciens, tous Ennemis du vrai Dieu (et du Bien par suite), avons-nous dit. Ce triple caractère va nous apparaître, imprimé en lettres de feu sur le front des adeptes de toutes les Sectes qu’il nous plaira d’évoquer successivement au cours des siècles.
Les auteurs les plus divergents de doctrines et de tendances, les uns catholiques comme F. Lenormant, les autres occultistes, comme Christian et le Dr Papus, d’autres enfin, Francs Maçons du Grand-Orient de France, comme Clavel et Ragon, ont traité des religions et initiations antiques en mettant en lumière, à leurs points de vue différents, cette vérité unique, que sous le voile ésotérique des superstitions populaires, il existait, chez les peuples anciens, des cosmogonies et des théogonies savantes, constituant ce qu’on appelle l’Ésotérisme.
(A suivre)
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Soyez sobres, restez vigilants : votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer.